Le 14 juillet à Loisey

 

La première fête en 1880.

La décision de faire du 14 juillet, la Fête Nationale, a été prise par les députés le 6 juillet 1880.
Le délai pour préparer cette fête est bien court, mais Loisey veut cette célébration et la prépare activement.
Voici comment le journal « L'Indépendant de l'Est » (des 19 et 20 juillet 1880) relate le déroulement de cette première fête nationale dans notre village... Il y a donc 135 ans !!


« La commune de Loisey a tenu à célébrer le mémorable anniversaire de la prise de la Bastille, mercredi dernier, d’une façon toute splendide.
La veille au soir, la fête a été annoncée par les tambours des sapeurs-pompiers et, en même temps, des drapeaux républicains ont été arborés et salués par plusieurs coups de feu.
Le lendemain, à 5 heures du matin, les cloches sonnaient en volée avec accompagnement de coups de fusil ; ensuite, les membres du Conseil Municipal, escortés de citoyens républicains, ont ramassé dans le village une abondante quantité de fagots qui ont été conduits sur la côte, (1) pour y être disposés en feu de joie.
Le soir, l’heure de la fête est annoncée de nouveau par le son des cloches, les tambours et les coups de feu ; la mairie est illuminée au moyen de lanternes vénitiennes et de verres de couleurs achetés par souscription. Il y a aussi des illuminations à une douzaine d'endroits différents, avec les initiales des mots : «Vive la République Française» tracées par l’instituteur (Monsieur LACOUR) dans ses heures de récréation.
A 10 heures du soir a eu lieu le bal public ; puis Monsieur le Maire (2), suivi de toute la population, est allé allumer le feu de joie, au pas de charge sonné par les tambours et les musiciens. Au moment où Monsieur le Maire l’enflamme, les cris de "Vive la République !" et le chant de la Marseillaise sortait à gorge déployée des poitrines, soutenue de nombreux coups de fusil. Puis on est redescendu au pas accéléré reprendre chacun sa place au bal, qui ne s'est terminé qu'à trois heures du matin.
Deux fonctionnaires photographiés, un zouave et un chasseur (3) disposés en transparents par l'instituteur, se tenaient debout de chaque côté de la porte de la mairie, comme pour en garder l'entrée et empêcher les partisans bonapartistes ou autres de pénétrer dans le monument dont l’accès était réservé aux seuls républicains de Loisey. » (4)

Renvois :
(1) Probablement au lieu dit « Sur la Place », là où se trouve actuellement le cimetière.
(2) Pierre BLAISE-SAINTIN est maire depuis le 2 mars de cette année.
(3) Je crois comprendre qu’il s'agit de deux factionnaires pris en photo. Leur image est projetée par une « lanterne
magique », l'électricité n’étant pas encore en place.
(4) L' intégralité du texte (expressions, orthographe) reste sous la seule responsabilité du journal.

Source du texte du journal l'Indépendant de l’Est : Archives privées de Maître Collot.

Le journaliste termine son article en évoquant une ambiance politique largement marquée.
Pour ma part, je préfère décrire différemment cette fête.
Ensemble, nous découvrirons ce que les villageois ont vécu, vu, entendu, partagé à cette occasion. Puis, pour comparer ce jour de fête à la vie quotidienne de l’époque, je m’efforcerai d’effacer tout ce qu’un siècle a apporté en toutes choses. On découvrira ainsi, non pas la « vie d'hier » mais les différences survenues, pendant ce siècle, entre «hier» et «aujourd’hui»...
C’est assez surprenant...


Une fête du 14 juillet à la Belle Epoque (Supplément illustré du Petit Journal)

 

 

 

 

 

 

Les bruits, les sons, les odeurs.

En ce jour de fête, on entend coups de feu, cloches, cris, musique, tambours... Bien sûr, c’est un événement exceptionnel... Mais, habituellement, quels sont les bruits dominants ?
Les cloches sonnent les heures et appellent aux offices religieux. Le tambour est pendu au flanc du garde-champêtre et appariteur : il s’en sert pour faire ses annonces. Les coups de feu ? En période de chasse, on en entend ; mais aussi quand les mariés sortent de l'église.
Supprimez toutes les radios et les bruits de moteur (autos, motos, camions, tracteurs, scies, tondeuses, tronçonneuses, bétonneuses... et moissonneuses nocturnes). Supprimez aussi les bruits « qui volent » : bourdonnement des hélicoptères et des avions de ligne, big-bang des avions de chasse... Vous créez une paix sonore... pas totale cependant, car voici un intrus récent : sur les pentes du Quimont, par bon vent, les vignerons perçoivent, depuis peu, un ferraillement incongru. C'est le train qui passe à Silmont, avec sa locomotive soufflante et sifflante : c’est le premier moteur ; l’ère mécanique qui débute.
Dans le village, les bruits « ruraux » chantent aux oreilles depuis toujours. On est né avec ; les voici : sabots des chevaux ou des hommes, chaussures ferrées sur la pierre des rues, artisans au travail : les savetiers piquent leurs chaussures ; les menuisiers rabotent ; les tisserands poussent leur métier... lls ne sont pas très bruyants. Le métal à battre ou à façonner est à réserver aux tonneliers et aux maréchaux-ferrants. Les deux tourneries (une à chaque extrémité du village) travaillent le bois : on entend scier, couper, cogner. Les 65 vignerons et les 25 cultivateurs n’ajoutent pas grand bruit : «hue, ho !» derrière un chariot grinçant, meuglement des vaches, aboiement des chiens, chant du coq... Ce n’est pas du tapage !
Le soir, dans les 2 cafés, le ton monte dans un épais brouillard de fumée tabagique : on critique les décisions du maire ou du préfet. La politique fait monter le son d’une octave. Pendant les récréations, les enfants crient aussi fort que leurs arrières petits-enfants entendus aujourd'hui. Plus discrètes, leurs mères battent le linge au lavoir en bavardant comme des pies.
On évoque rarement les odeurs d'une cité... Parlons du village... Le lisier est inconnu en 1880... Sur les usoirs, à côté des instruments aratoires, s’accumulent de nombreux et opulents tas de fumier. lls font le bonheur des poules... et exhalent un relent particulier.
Autres effluves : le maréchal-ferrant applique un fer rouge sur le sabot d'un cheval : fumée bleue, odeur de corne brûlée... En hiver, on distille « la goutte » : les mirabelles en mélasse dégagent une puanteur marquée.
Je relie odeurs et hygiène, vous comprendrez pourquoi... La modernité, qui s’incruste, génère des grincements ; voici un cas particulier: Monsieur le Préfet veut améliorer l'hygiène publique. Or, tout le monde utilise le ruisseau comme un tout à l'égout. Il faut, dès maintenant, supprimer les latrines qui donnent sur le ruisseau. Maître Larcher, le notaire, s’y refuse véhémentement... Il faudra attendre plusieurs années pour qu’enfin, il obtempère, mais il en reste des traces...


 

Les activités.

Ca bouge beaucoup en ce 14 juillet ; cette activité débordante commence très tôt : 5 heures du matin (7 heures actuellement). De nos jours, serions-nous dans les rues, ramassant des fagots ? A 10 heures du soir, irions-nous, au pas de charge, jusqu’à la place du cimetière ?
Aurions-nous encore assez de voix pour chanter la Marseillaise à pleins poumons ?
Pourrions-nous, enfin, danser jusqu'à l’aube ?
Il y a des décorations, de la lumière, du beau, partout ! Voici la mairie (encore neuve) avec ses lumières, ses verres colorés et son superbe balcon... Monsieur le maire y apparaîtra-t-il pour haranguer la population ?... Ca serait imposant, au milieu des drapeaux tricolores!... Le clou de cette mise en scène, c’est la projection d’images sur les portes de la mairie... Incroyable... Tout le monde est ébahi...
Oui, vraiment, c’est une fête exceptionnelle !
D'habitude, il y a la fête au village : On s’y amuse, mais ce n’est pas comparable à ce 14 juillet. Il y a aussi les processions marquant les fêtes religieuses : clergé, bannières, reposoirs ici et là, chants sacrés, marche lente en cortège... Surtout ne comparez pas ces processions avec la première fête officielle de la République... car, Loisey (par ses vieux) se souvient... 80 ans plutôt, il y avait eu, ici, de sévères empoignades. Ensuite les bons citoyens révolutionnaires avaient été mis sur la touche. Et voici qu’en 1880, ils relèvent la tête : L'ambiance politique le permet... On va pouvoir de nouveau séparer le bon grain de I’ivraie... Comme on le fait aujourd'hui à la porte de la mairie ! La toute neuve République en est émoustillée !
Quel contraste avec « le tous les jours » l
En temps normal, chacun se déplace à son rythme. Celui-ci prend le chemin de la Garenne pour aller travailler à Tronville, à pied. Cet autre va, à pied, prendre le train en gare de Silmont. Il emprunte le chemin de grande circulation n° 6. On se repère facilement : au nord du village, une plaque de fonte porte les indications suivantes : chemin de G.C. n° 6 Meuse - Loisey - Culey a 1 km 6, Bar à 12 kms 8... Ce sera remplacé plus tard par le G.P.S...
Le macadam n’a pas encore bleui la route. Les monstrueuses éoliennes de Géry brasseront les nuages plus tard. Les panneaux indicateurs sont à poser, ainsi que les pancartes triangulaires portant un dessin de cavalier... ou de vache...
Tiens, il y a des arbres de chaque côté de la route... Mais aucun poteau... ni fil électrique, bien sûr... Même chose au village... Où se perchent donc les hirondelles ? Sur les paraboles ? Sur les antennes télé ? Soyons sérieux, ça n’existe pas l Les paysans vont (à pied) dans leur champ ou leur vigne. On les voit travaillant tout le jour: gestes mesurés, pas de bruits. Ils ne peuvent pas aller plus vite : c’est la nature qui commande. Ils ne connaissent pas le changement d’heure qui bouscule nos habitudes tous les 6 mois.
Sécateur, bêche, chavrot, faux, râteau sont leurs outils. Avec eux, ils remplissent des hottes de raisin et produisent tas de foin, bottes de chanvre, turbettes de blé. Les tracteurs, moissonneuses, charrues à 8 socs, ne sont pas encore conçus. Les vélos, 4 x 4, quad sont encore à venir : Nos paysans marchent. Parfois, on « rentre des champs » assis à l'arrière d’un chariot, pieds ballants dans le vide... Ca repose ! Bien sûr, à la maison, les enfants n’ont ni patinette, ni mini-vélo... Ils ne peuvent pas rêver de patins à roulettes ou de skate-board qui n’existe encore pas.
La locomotive, à Silmont, siffle le début des « temps nouveaux ». Avant elle, pas de moteur. A sa suite, pétrole, gaz, électricité (plus ou moins bien domestiques) envahiront le village.
Comment vivait-on, à Loisey, « dans le temps » ?
La cuisine était le cœur de la maison, visitons-la.
Je ne pourrai pas « allumer » (vous connaissez l’expression). Il n’y a ni interrupteur, ni ampoule électrique. Ni gazinière, cuisinière électrique, congélateur, frigo, grille-pain, robots aux formes insolites : tout a disparu sous un coup de baguette magique ; j’oubliais les machines à laver la vaisselle, ou le linge et aussi, télé, radio, pendulette, aspirateur, fer à repasser... Ca fait beaucoup l... Vide sidéral à nos yeux, mais regardons mieux.

La cuisine paraît très vaste. Le manteau de pierre de la cheminée est adossé au mur ; une cuisinière en fonte s’y insère, on aperçoit l’emplacement de l’âtre. Les instruments de cuisine sont robustes : marmites en fonte, poêles à frire, casseroles et plats en cuivre rouge (plus nombreux, sans doute, chez Mathelin, le gros agriculteur). Il y a souvent un puits dans la cuisine. Une pompe en cuivre y puise l'eau ; Monsieur Richomme y a inscrit son nom et le titre dont il est très fier : Pompier ! On voit aussi une solide table en bois garnie de bancs ou de chaises. Au milieu de la cuisine, une haute pyramide à 4 pans monte jusqu’au toit. Coiffée d’une flamande vitrée, elle dispense les diverses clartés du ciel. La nuit, on s’éclaire avec bougies, chandelles, lampe pigeon et autres. Les longues veillées sont rares. ll faut économiser la lumière et les journées de travail sont rudes : le sommeil vient vite... Les autres pièces de la maison ne nous dépayseraient pas trop... Sauf à la tournerie : dans la pièce servant de bureau, on ne trouve ni ordinateur, ni imprimante : on écrit à la plume sergent-major sur les registres de comptes.


 

Les échanges.

Le mot « échange » évoque le commerce.
A Loisey, actuellement, il n’y a que des commerçants sur roues qui viennent d’ailleurs. L’agence postale, mixée avec le secrétariat de mairie, est le seul (et très agréable) lieu de rencontre... où l’on vient souvent en voiture !
1880 est riche en lieux d'échanges ; on s’y rend pour causer et acheter. Acheter quoi ? Les épiciers vendent de tout... en vrac. Munissez-vous de bouteilles pour l’huile et autres liquides !
Demandez une botte de carottes ou une boîte de thon à l’huile, on vous rira au nez. On vous servira pâtes, riz, farine, dans un cornet confectionné sur place et pesé sur la balance. Le boulanger aussi pèse son pain.
Rien n’est empaqueté à l'avance. « Maximo » ne livre pas et n’envisagez pas passer commande sur internet, pour une robe à prix cassé...
Les vêtements ? La garde-robe du paysan est sommaire : Un habit bien soigné pour le dimanche, un autre, robuste, pour le travail. Les femmes ne sont pas plus richement vêtues... Mais déjà, elles ont le bon goût de faire du beau avec peu... Si bien qu'au premier coup d’œil, on distingue un homme d’une femme... même à distance !
Les échanges, c’est aussi les livres, le journal venant de Bar (vous venez d'en lire un article) et, surtout, «causer»... Causer un peu fort au café, clabauder au lavoir, converser pendant la pause dans les champs... Voilà beaucoup de bonnes occasions de mieux se connaître.
Au XXIème siècle, remettez en place, dans la cuisine, tout ce que le coup de baguette magique a fait disparaître... Ce sont les engins les plus anodins qui sont les plus bavards : Ils se nomment télé et radio. Avec eux, tout ce qui vient de l’extérieur (images comprises) envahit la maison. Les sons recouvrent tout ; c'est permanent, on ne peut pas les éviter... On entend «les autres», on ne se parle plus. Ces boîtes à causettes et à images ont inventé mille expressions nouvelles. Elles étaient totalement incompréhensibles en 1880. Ce nouvel argot, nous l’utilisons tous les jours.
Silencieux, conquérant et dominateur, le langage internet s’exprime fugitivement sur la toile. ll n’est traduisible que par les initiés... dont vous faites certainement partie.


 

Aujourd'hui.

Hier, 13 juillet 1880, j’ai rencontré des gens heureux : On les avait photographiés, dans la Grande Rue.
Nous avons essayé de nous comprendre.
Malgré leur invitation, j’ai poursuivi ma route...

 

Cartouche "Liberté-Egalité" utilisé sur certains documents dans la région du Barrois au cours de la période révolutionnaire. (Archives Départementales de la Meuse référence LP 2259)

 

 

 

 

 

 

 

Les 14 juillet remarquables du village de Loisey :

Les festivités du bicentenaire de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1989, avaient donné lieu, entre autre manifestation, à une grande reconstitution costumée sur la place centrale du village.

 

 

La place centrale du village avait été envahie de "révolutionnaires" petits et grands. (Photo Jean-Pierre Kapusta)

 

Le rassemblement des enfants des écoles en costume.

 

L'arrivée du condamné en charrette: Pauvre homme !

 

Par contre, on n'avait encore jamais vu un condamné à mort aussi heureux...

 

 

 

 

 

 

 

 

Un autre 14 juillet remarquable de ces dernières décennies : Le 14 juillet 1973

Ce jour fut choisi par la municipalité de l'époque afin d'inaugurer le 1000 Clubs tout neuf qui venait d'être construit prés de la place centrale, ainsi que la nouvelle rue "Marquise du Châtelet" et la toute première plaque de rue apposée spécialement dans le village pour l'occasion.

 

 

Le 1000 Clubs "presque" terminé le jour de son inauguration.

 

 

La première plaque de rue du village de Loisey (Rue marquise du Châtelet - Femme de lettres et philosophe - 1706-1749)

 

L'inauguration du 1000 Clubs par le maire et le député de l'époque.

 

L'inauguration de la rue Marquise du Châtelet par Mme Emma Roustang.

 

Les jeux du 14 juillet : Le mât de cocagne.

 

La course en sac sur la place du village.

 

 

 

 

 

 
 

Aujourd’hui 14 juillet 2015, l’Ecole de Saint-Cyr défilera à la télé dans le même uniforme qu’en 1880!
N’applaudissez pas... Ces ombres colorées n’entendent pas !
Où sont donc nos pompiers du premier 14 juillet entraînant au pas de charge les habitants de Loisey dans une fête républicaine pleine d’entrain ?


Bernard THOMAS


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