Au coeur du Barrois,
un site bucolique chargé d'Histoire :
Sainte-Geneviève
Partir de Loisey en voiture pour aller découvrir ou visiter Sainte-Geneviève ? Que non !
A pied, cela est beaucoup mieux !
On quitte tout d’abord le village en prenant le chemin de la Poutière, et on monte lentement sur les pentes de Barjecôte. A notre droite, Loisey s’allonge dans la vallée. A notre gauche, sur les pentes du Quimont, quelques bouquets d’arbres au milieu des prés laissent deviner derrière, et non loin de là, le village de Culey. Nous terminons notre ascension et arrivons sur un plateau. Et aussitôt, nous entrons dans la forêt de Sainte-Geneviève…
Ensuite, quelques bifurcations sont à bien connaître, mais le chemin est souple sous la chaussure… Nous avons déjà les senteurs et les chants de la forêt… On trottine en descendant doucement, puis après un quart d’heure de marche, le sentier plonge et il faut se cramponner un peu ! Mais voici en contrebas, une lisière de clarté… et la bordure d’une pièce d’eau.
Les bois, la « source », les étangs, et la chapelle de Sainte-Geneviève sont relativement bien connus dans le Barrois et au-delà de nos villages de Loisey et de Culey ….
La petite chapelle se trouve au sommet d’un écrin de forêt dominant les étangs. Il y a aussi un ruisseau qui se faufile dans la prairie. Le calme et la sérénité du lieu attirent les promeneurs à la recherche d'un peu de paix… et un brun de mystère flotte tout autour du site, ce qui ajoute à son attrait....
La chapelle Sainte-Geneviève.
Les origines :
Les débuts de l’histoire de ce lieu n'ont laissé que quelques écrits, dont voici le premier :
En l’an 709, dans la charte de fondation de l'abbaye de Saint-Mihiel par le Comte Wulfoad, on peut lire :
« De même, donnons une terre à Cussiliacum (Culey) situé sur le pays de Bar, avec maison, dépendances, constructions, champs, prés, forêts, champs cultivés et incultes, étangs et cours d'eau, et tout ce qui s'étend auprès d'elle ».
Les abbés de Saint-Mihiel auraient aussi apparemment échangé ces biens au IXe siècle contre une autre possession…
Dans ces documents parle-t-on du lieu qui s'appellera Sainte-Geneviève ? On ne peux l'assurer !
L'histoire dit également que les trois premiers ducs de Haute Lorraine s'emparèrent progressivement des biens considérables de l'abbaye de Saint-Mihiel. Cette appropriation était totale quand débutèrent vers 1033 les guerres féodales qui ravagèrent le Barrois.
A la suite de ces luttes, le comté de Bar se séparera du duché de Lorraine, et nos princes prirent le titre de Comte de Bar.
Sophie ( la veuve de Louis, premier Comte de Bar), décédée vers 1070, gouverna le Barrois et s'occupa beaucoup des bénédictins de Saint-Mihiel à qui elle devait, semble-t-il, quelques dédommagements...
L'ensemble médiéval de Sainte-Geneviève :
En avançant dans le temps, les archives parlent un peu plus de Sainte-Geneviève, mais la langue de l'époque a des ambiguïtés qu'il faut se risquer de lever :
Ainsi en 1252, Thibault, Comte de Bar, échange « tout ce que contenait la grange de Sainte-Geneviève « .
Or, au XIIe et XIIIe siècles, on appelait « grange » une dépendance de monastère : C'était une sorte d'hospice champêtre qui recueillait les religieux du couvent voisin, mais souvent aussi des voyageurs étrangers. L'ensemble comprenait maisons, terres, bois, tout ce qui permettait de vivre en autarcie… Donc en 1252, cette « grange « n'appartenait plus à un monastère, mais au Comte de Bar… De quel monastère la tenait-il ?… On a esquissé plus haut une supposition...
Six ans plus tard, le Comte Thibault achète aux moines des terres et des bois environnants sa « maison ». Mais de quelle maison s'agit-il ?… Le séjour d'un de ses successeurs (peut-être Henri IV, Comte de Bar), dans la « maison forte » ou « le château » de Sainte-Geneviève, dans les années 1336-1339 nous donne sans doute la réponse… Dernières découvertes : une tuilerie est louée en 1321et le secrétaire du Duc de Lorraine en achète la moitié en 1468.
De ces trop modestes sources, on peut se risquer à l'hypothèse suivante :
Dans la forêt de Sainte-Geneviève, il y avait une « grange » édifiée par un monastère jusqu'à maintenant non identifié.
Dans la composition de cet ensemble, on trouve en plus une tuilerie.
Enfin, il fut érigé dans ce vallon ce qu’on appellera une « maison forte » - ou « château »…
Trois indices sur trois siècles d'histoire… Cette construction historique est bien fragile… Mais maintenons la en attendant mieux !
On notera qu’une étude en janvier 2000, donne la chapelle de Sainte Geneviève comme étant une ancienne chapelle castrale. Mais ceci semble peu probable, compte tenu de la distance la séparant de l'emplacement du château (500 mètres).
Le château (ou maison forte ) est encore entretenu en 1360-1361, car des réparations sont payées à M. Estienne de Culey. Elles concernent « le pont à retenir, les portes, plusieurs huisseries, mais on ajoute... « tant à la chapelle comme ailleurs ».
Le cellérier (l’économe du monastère) se nomme Jean de Longeville, (une famille bien connue à Culey et à Loisey.), il est aussi « trésorier » du comte de Bar, et c’est lui qui paie les réparations. Il indique que Jean Bougeaudel garde « la maison ».
Les dernières traces administratives concernant le château se situent au XVème siècle :
Au cours d’une vente faite par le Duc de Lorraine le 28 juin 1415, c'est le procureur général Regnault de la Loye qui reçoit pour sa vie durant « le chastel de Sainte-Geneviève - près de Resson - avec fossés, l'étang dessous, les prés appelés Pré Lecomte et toutes les terres arables appartenant au dit chastel ». « A charge qu'il sera tenu de faire au dit Sainte-Geneviève une chapelle qui devait être anciennement, de présent ruinée ».
Le même jour, la chapelle est donnée à Gérard, fils de Regnault de la Loye, « avec droits, cens, rentes, profits et émoluments y appartenant, à charge pour lui de faire le service des heures ».
En 1465, la maison forte de Sainte Geneviève, les étangs et les prés sont ascensés à Jean Baischant moyennant 2 francs de cens à la recette de Bar.
La même année, un dénommé Collot de Resson est puni d 'une amende, « pour avoir pris à l'ancien maisonnement de Sainte-Geneviève» (volé ?)
Puis, c’est le silence jusqu’en 1565 où on ne signale plus que les « fossés d’une vieille place carrée »… que l’on resituera plus tard sur un plan du terrain en 1818, en notant « ancien château ».
Sur l'emplacement du château, plan et rapports de témoins successifs concordent : En 1840, M. de Beauval (le dernier notable titré de Loisey) dit de son grand-père (donc aux environs de la Révolution) qu’il avait encore vu des habitations « sur le môle ».
M. Guillaume (de Naives), propriétaire du lieu en 1858, situe le château au centre de la prairie, là où aboutissent les quatre chemins venant de Resson – Loisey – Culey - Erize. « C'est un tertre situé entre le 2ème et le 3ème étang, de forme carrée, avec des fossés de 4 mètres de large remplis d'eau, élevé d'environ 1 m 50, et jonché de débris de tuiles, de briques, de fragments de terre cuite vernissée… »
Monsieur Maxe-Werly, chercheur sérieux, découvre aussi à cet endroit à la fin du XIXe siècle, des morceaux de brique émaillée. Il les dépose au musée de Bar après en avoir fait le dessin : des poissons, une fleur de lys, un château avec des écussons, le tout sous forme symbolique ; deux pièces de monnaie frappées au XIVe siècle y sont également trouvées.
On sait que les ruines de ce château, nommé à l’époque « tour de Sainte-Geneviève », et situé donc à 500 mètres en aval de la chapelle, servirent à construire l'enceinte de la ville neuve de Bar-le- Duc, à une date non précisée.
Copie du plan, fait en 1818, du vallon de sainte-Geneviève.
(Archives privées du propriétaire pour Mr B. Thomas)
La chapelle :
En empruntant de nos jours un sentier assez raide démarrant du carrefour des quatre chemins de Sainte-Geneviève, nous arriverons au flan d’une maison forestière.
Et au bout de ce sentier, et face à nous : la chapelle… Elle fait corps avec la maison forestière et en constitue une de ses faces.
Un beau portail du XVème siècle l’agrémente. Il est surmonté d'un tympan à trois baies plein cintre, accolées et aveugles, inscrit dans une ogive. La grille qui ferme l’entrée n’empêche pas un oeil indiscret de découvrir progressivement dans l’ombre, les détails de cette « église de poupée ».
Sous la voûte d’ogive, l’autel, puis quelques modestes statues, et quelques bancs bien alignés de chaque côté de la petite allée centrale. Nous n’y pénétrerons pas car ce serait rompre le charme d’autant plus que c’est une propriété privée avec défense d’y entrer.
La maison forestière (attenante à la chapelle) reconstruite en 1830, remplace très certainement l'ancien ermitage.
Dans ce bâtiment, on trouve trois niveaux inégaux : en contrebas, le local qui servait probablement de cuisine, puis la chapelle qui est de plain-pied. Et au dessus de celle-ci, les chambres qui surplombent les étangs.
Ces trois niveaux sont reliés par un escalier tournant en colimaçon, prenant son origine dans la maison forestière.
L'ensemble est maintenant également une propriété privée.
On a vu que la chapelle avait été donnée à Gérard de la Loye par son père en 1415. La chapelle va changer ensuite encore une nouvelle fois de mains : Le 28 mai 1434, à réquisition de Messire Jehan Colin, curé de Louppy, le roi René confie la chapelle (vacante) à Messire Jean Bouché, curé de Saint Maxe. Ensuite, un texte latin du 3 septembre 1454 dit que :
Pour qu'elle reste en bon état, « la maison de l'ermitage de la Très Sainte Vierge Sainte-Geneviève-des-Bois, située au lieu-dit Lucane sera mise sous la conduite d'un ermite, pour éviter que la chapelle, la maison, et toutes les appartenances ne périssent et aillent en ruines ».
C'est le procureur général du Duc de Bar, Edouard Lenotha qui assigne la chapelle à un certain ermite nommé Anselme, originaire du village de Robert-Espagne, car «dûment informé de la vie, de la probité, du dessein louable d'Anselme de Robert-Espagne, qui, comme il l'affirme - Dieu étant son guide - Il se propose de mener la vie d'ermite »…
Il bénéficiera des ressources de cet ermitage, « avec faculté de demander, requérir, postuler les aumônes où, quand et comment il le jugera opportun selon l'usage des ermites ses prédécesseurs ».
On retient de ce texte que l'ermitage appartenait alors au Duc de Bar et à sa femme, et qu’Anselme avait des prédécesseurs ermites...
Selon les spécialistes, la chapelle semble avoir des traces de structure remontant au XIIIème siècle et, on l'a déjà vu, il y eut des ordres de reconstruction et d'entretien successifs sans que le détail en soit connu : En 1599,les habitants de Culey sont imposés pour aider à la réparation de l'ermitage. En 1617, la chapelle est « réédifiée » (peut-être réparée ?).
En 1858, la cloche de la chapelle est vendue au curé de Rembercourt aux Pots…
La modestie de l'ensemble (chapelle et ermitage), et la superbe vue sur les étangs dans la forêt, donnent à ce lieu un sentiment de grande paix, incitant à la méditation.
La chapelle et la maison forestière de Sainte-Geneviève.
La chapelle Sainte-Geneviève vue de côté
Le portail et la grille d'entrée de la chapelle Sainte-Geneviève.
L'intérieur de la chapelle en 2020.
Les ermites :
En 1617, Mgr François Blouet de Camilly, Evêque de Toul, fait recenser les ermitages de son diocèse. On en trouve 207, dont celui de Sainte-Geneviève.
Ce chiffre est cité dans une étude publiée en janvier 2000. Ce serait un minimum ; compte tenu de la disparition de nombre d'entre eux, le total pourrait être même de 250. C'est donc un phénomène important. Cette même étude précise que les ermitages occupaient fréquemment l'emplacement d'un ancien bâtiment appartenant au clergé régulier ; ce qui serait le cas de Sainte-Geneviève, anciennement « grange » dépendant d'un monastère jusqu'ici non identifié.
Certains ermitages n'en avaient que le nom, lié à l'isolement. Les gardes chapelles portaient le titre et l'habit d'ermite (un froc et un manteau de couleur sombre). Les plus recommandables étaient les vieillards que la sollicitude des autorités logeait là, soutenus par la charité publique.
Tous n'étaient pas d'intéressantes victimes des ans, ni même des veufs ou célibataires. Quelques uns avaient (au village voisin ou à l'ermitage) une femme ou une prétendue épouse…
Au lieu de travailler, certains préféraient le vagabondage ou le quémandage… et vivre librement leur vie ! Evêque et curés pestaient contre eux, mais le bon peuple en avait pris son parti et des rumeurs sinistres couraient sur eux… A Sainte Geneviève, on le verra, la rumeur fut un temps fondée… Cependant, le niveau de la moralité des gardiens s'améliore aux XVIème et XVIIème siècles…
Les vrais ermites suivaient une règle soit empruntée à leurs devanciers, soit composée par eux. N'ayant pas suivi de formation religieuse, ils n'avaient pour contrôle que leur conscience et pour direction, celle de leur confesseur.
Ils devaient avoir une existence honnête, paisible ; une solitude relative sous leur habit d'ermite. Ils s’occupaient de culture de jardin, d’entretien des ruches. Ils faisaient des sorties pour aller quêter, aller aux nouvelles, faisaient aussi quelques prières le soir à la chapelle. Ils se rendaient à la paroisse au moins le dimanche, assistaient aux offices, ne se bornant pas seulement à la communion pascale… une sorte de vie chrétienne idyllique...
Ensuite, au XVIIème siècle, ils s'organisèrent en deux congrégations : les Frères de la Mort (à cause de la tête de mort brodée sur leur scapulaire), puis 10 ans après, les Frères de saint Jean-Baptiste…
Il y eut une organisation à l'échelon diocésain et l'habit fut précisé : une tunique, un cucule (capuchon), un manteau de laine brune, des chaussures, un scapulaire noire, un chapelet en bois.
Des travaux manuels étaient pratiqués entre les exercices de piété, avec une récréation après le repas de midi. Et en dehors de ce moment de détente : le silence...
Du 15 mars au 15 novembre, le lever était à 4 heures, et en hiver , le lever à 5 heures. Les femmes n'étaient pas acceptées dans leur maison et dans l'enclos. Les ermites ne pouvaient pas prendre de repas à l'extérieur. Après un long temps d'épreuve, ils prononçaient leurs trois vœux. Ils pouvaient disposer de leurs biens patrimoniaux, en en confiant la gestion à un tiers ou au profit de la communauté sous le contrôle du « visiteur » (qui était leur « supérieur »).
Une autre congrégation (de Saint Antoine) fut créée vers 1650, puis ces ordres fusionnèrent en 1746. En 1716, l'Evêque de Toul créa un titre de garde-chapelle, mais celui-ci ne vécut pas longtemps et on revit les « ermites libres ».
A Sainte-Geneviève, on trouve la trace de dix ermites cités (ou dénombrés) entre 1615 et 1775, non compris Anselme de Robert Espagne qui vécu en 1454, lui-même successeur d'ermites et, vraisemblablement, suivi encore de nombreux autres, jusqu'en 1615. Il y eu donc au moins trois siècles de présence erémitique à Sainte-Geneviève. Et pendant cette longue période, leur mode de vie, on l'a vu, évolua.
A quels « ordres » les rattacher ? Rien ne nous permet de le faire...
Dans les dix »ermites » dont la présence a été relevée : trois sont dits « ermites », deux sont dits « fréres », cinq sont dits « gardiens de la chapelle ». Le dernier gardien cité, Joseph Prévotel, décédé le 2 mai 1775 à l'age de 80 ans, avait un confrère, car une description de la forêt faite en 1772, dit que la chapelle était gardée par « deux ermites ». Joseph Prévotel, lui, fut d'abord maître d'école à Culey pendant 44 ans… Place importante dans la paroisse ; le maître était également chantre… La paroisse lui donnait une retraite digne et c'était comme la continuation de son apostolat… Son compagnon est inconnu.
La vie simple des hommes - encore plus celle des ermites - ne donnait pas lieu à littérature et c'est bien dommage… Mais lorsque le calme est rompu, quel tumulte parfois ! Ainsi, le premier ermite ayant fait beaucoup parler de lui se nomme Perin (ou Penin). Le 4 août 1612, près du Pont Neuf de Bar-le-Duc (le Pont Notre Dame actuel), Perin est « exécuté à mort pour avoir tué sa mère ». « Après avoir fait amende honorable, la corde au cou, la torche au poing, nu sous sa chemise, il a été pendu et ensuite, son corps brûlé ». A la suite de cette affaire, on a aussi retrouvé cet écrit : « On plaida contre messieurs de la justice de Loisey qui soutenaient devoir faire son procès et être exécuté en son ermitage, mais on n'eut point d'égard à leurs allégations, pourquoi (parce que) le terrain de l'ermitage dépend de la prévôté de Bar ».
Plus tard en 1721, on précise que l'ermite se nomme Nicolas Michel, qu'il est de la paroisse de Culey et y paie la dîme.
En 1723, le Comte Gabriel de Franquemont qui, à Erize-Saint-Dizier, possède un château contenant une chapelle, obtient du Duc de Lorraine qu'un prêtre puisse y célébrer quotidiennement la messe. En échange, il devra laisser Frère Bastien, ermite, jouir de la chapelle de Sainte-Geneviève sa vie durant. Ce dernier succédait probablement à Charles Mary, gardien, décédé en septembre 1714, et enterré dans la chapelle. Frère Bastien, lui, en avait obtenu le bénéfice par lettres patentes du Duc, le 30 décembre 1714.
A l'époque, il y eu sans doute plusieurs ermites, puisqu'on y trouve Michel Camus en 1724.
En 1729, Charles Deby, le gardien décédé, est inhumé dans la chapelle du côté de l'epître.
En 1731, le Comte de Franquemont nomme Frère Gillot, gardien. Celui-ci « tirera toutes les offrandes et en cédera la moitié au sieur François Bussenot, gardien ».
A la Révolution, il n'y a plus d'ermite, mais la chapelle est habitée par Madame Anne Bussenot, 40 ans, qui y demeure avec son mari. Elle y sera assassinée dans la nuit du 6 au 7 janvier 1804.
Voilà tout ce que l'on sait sur les ermites de Sainte-Geneviève...
Plus tard, le terrain autour de la chapelle a permis de faire quelques découvertes :
En nettoyant la forêt en 1962, M. Douillot, le propriétaire du lieu, creusa le sol. Il y découvrit des ossements humains et deux squelettes en bon état de conservation : Retrouve-t-on dans ces deux corps superposés, orientés vers le choeur de la chapelle, l'ancienne coutume d'inhumation des Frères de Prières ? (C'est en tout cas l'hypothèse qu'émet un article paru dans le journal l'Est Républicain du 19 novembre 1967).
La source :
La source, qui alimente le premier plan d’eau, sourd au pied de la butte. Vous trouverez dans les buissons, le filet d’eau, mais vous n’en décèlerez pas l’origine.
Par les Frères Bastien et Gillot, nous savons que des revenus étaient liés à la chapelle… Mais quels en étaient les origines ?
Voyons le paysage… La chapelle domine les étangs alimentés par une source… Source égale donc vie, et souvent vertus particulières, voire miraculeuses, depuis très longtemps… et que le bon peuple de la région lui attribuait.
Donc la source ou « fontaine » de Sainte-Geneviève prétendait avoir des propriétés merveilleuses attirant la ferveur des pélerins. Mais depuis quand ?
Il paraît évident que cette source, avec la chapelle et le pélerinage amenaient les ermites à percevoir quelques droits qui leur étaient officiellement reconnus.
Un auteur de la fin du XIXème siècle nous dit que ce pélerinage remonte au XIIème siècle... Laissons lui en la responsabilité…
Si la date d'origine est contestable, un mot, dans son écrit, retient l'attention. Il dit :
« Il ne reste plus maintenant, le lundi de la Pentecôte, qu'une fête rassemblant la jeunesse des villages, appelée rapport »... Or, le « rapport » aux XVIIème et XVIIIème siècle signifiait : « assemblée vulgaire, tenue à l'occasion de pèlerinages, où il y a espèce de foire ou marché ; les marchands venaient étaler toutes sortes de denrées et merceries ».
En mai 1877, à la Commission du Musée de Bar, on déclare « avoir découvert, aux environs de l'ermitage, onze monnaies qui se révèlent frustres et sans valeur, car n'indiquant point à quelle époque elles remontent »… Peut-être des petites monnaies égarées lors des « rapports » ?
Quelle était la nature de ce pèlerinage ? On ne sait pas… mais comme c’est le cas de beaucoup de ces rassemblements locaux, il perdit progressivement de son importance après la guerre de 30 ans (après 1650). C'est Benoîte Vaux, un peu plus lointain, qui attirera les foules, tarissant cette petite source de vie et de revenus.
Certes, on signale encore un mariage à Sainte-Geneviève en 1725, mais on n'y verra plus les habitants de Salmagne y pèleriner nuitamment, comme c'était, parait-il, la coutume… rapportée par M. de Beauval, déjà cité…
On notera que ce « rapport » fêté chaque lundi de Pentecôte, va se perpétuer très longtemps en devenant progressivement ce que l’on va appeler « la fête de Sainte-Geneviève » jusqu’à la fin des années 1970 environ.
Dans les derniers temps, après la messe du lundi de Pentecôte dite par le curé de Loisey, quelques groupes donnaient une représentation. Puis tir, jeux, pêche, buvette complétaient les attractions ou se retrouvaient plusieurs centaines de visiteurs des environs et même de Bar-le-Duc... qui étaient souvent surpris par l'orage arrivant inopinément !
C'est d’ailleurs en préparant le terrain pour cette fête que le propriétaire des lieux fit les découvertes d'ossements cités plus haut.
Le premier étang, avec sa retenue d'eau, est directement alimenté par la source de Sainte-Geneviève située à proximité.
(vu ici au printemps 2024)
Autorisation d'ouverture d'un débit de boisson, lors de la fête de Pentecôte 1859 à Sainte-Geneviève.
(Archives municipales de Loisey)
La forêt :
Nous n’avons pas la possibilité de remonter au VIIIème ou au IXème siècle (les premiers jalons posés dans mon récit concernant Sainte-Geneviève) pour connaître l'état de la forêt à cette lointaine époque… Contentons nous d'une description faite plus récemment… en septembre 1772 et résumons la :
« Le château (déjà bien ruiné) » et la chapelle, derniers indices d'une activité passée s'inscrivent dans un fond de la grande forêt de Sainte-Geneviève qui contient près de 1400 arpents. Elle est située sur les finages de Resson, Rosières, Loisey. Elle est à deux lieues ½ de Bar, au levant. Elle a pour voisin au même aspect et à celui du midi, les bois appartenant à M. Du Châtelet… Elle est située en terrain plat pour la plus grande partie, et en plusieurs coteaux pour l'autre. Le fond est bon, mais pas les coteaux qui donnent un taillis peu fourni. Les essences sont composées de chêne -très rare-, de hêtre, de charme, de tremble, d’érable, de coudrier, de saule, mêlés de beaucoup d'épines dans certains secteurs… La futaie est plus rare dans les parties en coteaux, et encore celles sur lesquelles il s'est fait des ventes extraordinaires, il y a 24 ou 25 ans.
Le taillis à de 1 à 35 ans de recrue. Par arrêté du 19 avril 1760, la coupe est fixée à 40 arpents à raison de 35 ans de recrue… Il y a sur les lisières de cette forêt une chapelle appelée Sainte-Geneviève, gardée par deux ermites, et autour de laquelle il y a un terrain d'environ 10 arpents appelé le Bois l'Ermite appartenant aux héritiers de Madame la Comtesse de Franquemont. Au dessous de cette chapelle, est une futaie qu'arrose un pré « autrefois en nature d'étangs » et qui partage en deux une extrémité de la forêt jusque sur les terres de Culey.
La partie contre-échangée à M. Le Chevalier du Châtelet en 1756 est séparée par une large tranchée qui commence à la fontaine, et qui se termine par cinq bornes au lieu-dit Pleinfer.
Une tranchée traverse la forêt vers un terrain au nord, appelée La Tuilerie.
Les vides, dans la forêt, sont les places à charbon qui ont été pratiquées lors des ventes exploitées par des maîtres de forges... »
La tuilerie a entièrement disparu. Il n'en reste qu'un lieu-dit et une tranchée portant son nom. La situer reste à faire.
La forêt, le terrain, tout cela évolue sans cesse sous l'action du temps et des hommes. Dans la description de 1772, on ne parle plus que de la chapelle (l’ermitage, le château, les étangs ne sont plus cités).
En 1818, un plan d'occupation des sols montre des peupleraies à la base de la chapelle, à l'emplacement du château... en tout 6000 peupliers. On cultivait aussi -prés du château- de la luzerne et des pommes de terre.
La forêt a ses habitants naturels que nous connaissons bien ; ajoutons-y leurs prédateurs : les loups. Ils furent, suivant les époques, assez nombreux et dangereux. Des battues « aux loups » furent organisées les 5 et 20 de chacun des trois premiers mois des années 1820 et 1824, ainsi qu'à la première chute de neige... L'instituteur de Loisey signale encore des loups en 1889.
Outre les « habitants de droits », il y a les hommes, bien sûr, qui travaillent le bois de différentes façon . Y amenait-on moutons et bêtes à cornes pour paître, et des cochons pour la glandée ? C'est possible, mais les adjudications faites en 1591 pour « Paixon et Glandée » sur les bois de Loisey et Culey ne donnent pas le nom des forêts concernées.. On y gaulait aussi les faines...
C’est une grande et immobile forêt bruissant de sa vie… avec les chants des oiseaux, les rares cris d'animaux, le murmure des feuilles, les coups de hache des bucherons et, au fond de la vallée étroite, la cloche de la chapelle qui appelait à la prière au temps très ancien de nos ermites... Mais on l’a vendue depuis, cette cloche... Quel dommage !
Sainte-Geneviève (420-502), est la sainte patronne de la ville de Paris. Elle est aussi connue pour avoir en 448, selon la légende, fait jaillir une source miraculeuse dans une grotte au milieu des bois, près d'une bourgade proche de la capitale... devenue de nos jours la ville de Sainte-Geneviève-des-Bois.
Les étangs et le ruisseau :
Le ruisseau de Sainte-Geneviève, au départ si modeste, si fluet, n'obtiendra la liberté de courir qu'aprés avoir formé, suivant les époques, un, deux, ou trois étangs, protégés par un château depuis longtemps disparu.
Les ruines de cette maison forte coexistaient encore avec les étangs en 1415.
La digue de retenue était bordée d’accrues épaisses : arbres aimant l’humidité, buissons, roseaux, un ensemble assez inextricable… Cent cinquante ans après (1565), on parle d'un vivier (étang) et de fossés entourant une place carrée (probablement l’emplacement du château) inclus dans un lieu-dit « La Bouchonnerie », ce qui signifie terrain couvert de buissons et d'épines. L'ensemble couvre 12 arpents ; vivier et fossés sont comptés pour un arpent (équivalent à environ ½ hectare).
Jenyn Moyniat, vigneron à Culey, obtient le domaine en location pour 30 ans, à charge pour lui « de l'essarter et de le mettre en état de prairie et de labour en y faisant les fossés et saignées requises pour égouter et vider les dits marécages ».
Ensuite, on ne reparlera plus d'étangs avant 1850...
On retiendra que ces étangs furent la cause d'un drame épouvantable en 1879 : Le 12 mai étant le lundi suivant la première communion au village voisin d’Erize-Saint-Dizier ; des jeunes gens vinrent s'amuser au bord de l'étang, accompagné du curé d'Erize. L'idée leur prit d'effectuer une promenade en bateau et ils décrochèrent une barque de type « Périssoire ». Naviguant à quelques mètres de la rive, et sans doute à la suite d'un brusque mouvement collectif, la barque chavira entraînant ses cinq occupants dans l’eau, et qu'il fut impossible de secourir. Ainsi périrent noyés :
- Marie-Gustave Lelièvre, 37 ans, natif de Loisey et curé d'Erize Saint Dizier ;
- Marie-Albertine Jacquemin, 14 ans, d'Erize-Saint-Dizier ;
- Céline Marquis,16 ans, couturière à Erize ;
- Berthe Collot,16 ans, vigneronne à Loisey ;
- Marie-Louise Thirion, 24 ans, épicière à Villotte devant Saint-Mihiel.
Les corps furent reconnus le lendemain par Jean-Augustin Prévost, le maire de Culey.
Cet accident s'est produit à la base de l'étang le plus en amont, sur le versant Est de la retenue. A l'époque, les étangs appartenaient à M. Guillaume de Bar-Le -Duc.
En 1818, on l'a vu, les étangs n'existaient pas et c'est une plantation de peupliers qui occupait la majeure partie du vallon. Leur propriétaire est un personnage lié à l'histoire de Culey : Il s'agit de Jean-François Major, neveu et héritier de l'abbé Joseph Major, doyen rural et curé de Culey, décédé en 1793. Jean-François était aussi prêtre lui-même, professeur de rhétorique au collège Gilles de Trêves à Bar. Il avait, comme de nombreux confrères, quitté les ordres pendant la Révolution. Il était devenu « attaché » à l'Arme du Génie, qu'il avait quittée ensuite en faisant prospérer les 20 hectares laissés par son oncle.
La Révolution, bien tranchante pour certains, avait permis d'arrondir le domaine de beaucoup d'autres… en fut-il parti ?… Quoi qu'il en soit, on le retrouve, vers 1820, propriétaire du vallon de Sainte-Geneviève, de la ferme de Bel Air au Sud-Ouest près de Culey, et de terrains environnants…
Et voici qu'il demande soudain de reprendre le ministère sacerdotal en 1823 ( il a 65 ans ). Mgr d'Arbois, Evêque de verdun, lui répond le 20 août 1823 :
« … J'ai été obligé de prendre connaissance des écrits que vous avez publiés (pendant la Révolution). Le scandale de votre conduite et de ce que vous avez eu le malheur de répandre dans mon diocèse, ne me permet pas de vous y employer... Ma conscience ne me permet pas non plus de vous donner un exéat dont vous pourriez profiter pour solliciter ailleurs un poste à charge d'âmes...
Elle me dicte, au contraire, de m'y opposer ! »
Quelle rebuffade ! Car Major aurait peut-être pu être admis à une réintégration 20 ans plus tôt. Mais en 1823, on était en pleine période « ultra » de la seconde restauration.
Laissons le ruisseau quitter les étangs. Un croquis de la fin du XIXème siècle situe une pisciculture à la base du deuxième étang… On en trouve aucune autre trace écrite nulle part ailleurs…
Le petit ruisseau musarde ensuite jusqu'à Culey, arrosant sur une grande partie de son cours, les terres de la ferme de Bel Air… Puis on le domestique et on le met au travail… : Il devra faire tourner un moulin…
Avant que la famille du Châtelet ne construise son château à Loisey, elle possédait déjà (en 1576), le moulin de la Terrasse… qui était sans doute la plus vieille bâtisse de Culey…
Ce moulin permit la réalisation d’une bonne opération mobilière à l’un de ses propriétaires… Voyez plutôt :
A la Révolution, les cartes vont être redistribuées : le Duc du Châtelet, considéré comme émigré et ennemi de la République, est condamné et guillotiné. Ses biens sont vendus, à l’exception de tous les moulins de la châtellenie qui, pour une raison obscure, restent la propriété des héritiers. Ceux-ci vont vendre ensuite en 1808, les moulins de la Terrasse de Culey et du pré Chanel de Loisey à M. Athanase Yvon demeurant à Naives, et à M. Jean Gaillet de Loisey, solidairement, pour la somme de 6450 F.
Le 17 octobre 1811, Jean Gaillet rachète la part de son associé pour 3225 F, et le 2 novembre 1811 (15 jours après), il revend les deux moulins à deux associés, M. Martinière et M. Gratté, meuniers à Salmagne pour 8000 F… payables seulement en espèces d’or ou d’argent… La plus value sera donc de 1550 F pour M. Jean Gaillet, un puissant personnage déjà trés connu à Loisey, et réputé également pour son goût des affaires…
En 1844, une surcharge de travail est demandé au ruisseau : Au moulin à grain, on ajoute un moulin « à ciment » qui fournira du matériau « pour les ouvrages concernant le canal de la Marne au Rhin et du chemin de fer Paris - Strasbourg ». Cela nécessite l’agrandissement du bief qui sera porté à 127 mètres de long pour une superficie de 680 m² et une profondeur moyenne de 84 centimètres.
En 1857, municipalité et population de Culey s’opposent à cette industrie et demandent la suppression du moulin à ciment. Le Préfet ne les suit pas, mais impose des travaux d’aménagement… que le propriétaire, M. Vast, n’a toujours pas encore réalisés en décembre 1859.
Une fois libéré de son travail au moulin, le ruisseau traverse le village de Culey dans toute sa largeur, longeant le lavoir construit en 1911, qui a du souvent être animé par le bavardage des lavandières. Il a aussi longtemps longé l’ancien cimetière maintenant désert...
On notera que la belle église classée de Culey, toute proche, a eu la sagesse de dédier un de ses vitraux à Sainte-Geneviève… dernier clin d’oeil au passé...
Le ruisseau passe ensuite sous le petit pont situé au centre du village, traversant l’ancien chemin royal appelé maintenant départementale n° 6. Ce pont a bien sûr toujours été fréquenté de tout temps, par toute sorte de gens et d’animaux : attelages allant aux champs, cavaliers, militaires, ouvriers, vignerons et paysans… Mais présentement, ça roule vite, sur le pont… On ne s’arrête même plus pour regarder le ruisseau.
A sa rencontre un peu plus loin et en bas du village, avec son homologue le ruisseau de Loisey, le ruisseau de Sainte-Geneviève va perdre son nom…
Signalons tout de même encore une énième réquisition : En 1788, le Duc du Châtelet passe une concession de quatorze ans à des personnes de Haironville et de Tréveray pour faire fonctionner, sur le cours final du ruisseau, une machine à concasser le minerai (un engin appelé Bocard). Le bail qui était prévu n’a jamais été renouvelé, la Révolution ayant effacé le chantier. Il ne nous reste depuis que le nom (déformé) que l’on attribue maintenant au petit pont du Brocard voisin…
Quelle longue histoire tout de même sous le vocable de Saint-Geneviève : fontaine, lieu-dit, chapelle, forêt, étangs, ruisseau ! Mais les archives sont malgré tout bien avares sur le sujet.
Au détour d’un acte de justice ou d’une vente, ou même d’une correspondance échappée au temps, on trouve de quoi aiguiser notre curiosité : c’est le récit que vous venez de lire…
Je laisse volontiers maintenant à des chercheurs plus chanceux que moi, le plaisir de combler les lacunes de cette aventure.
En 1926, le propriétaire de l’époque n’a pas donné suite à une proposition de la commission départementale des sites qui souhaitait répertorier et protéger l’endroit… on ne peut que le regretter.
Bernard THOMAS.
Le grand étang de Sainte-Geneviève,
vu ici au printemps 2022.
Article de l'hebdomadaire "La Meuse"
relatant les noyades accidentelles du 12 mai 1879 aux étangs de Sainte-Geneviève.
Vue sur le vallon de Sainte-Geneviève à son arrivée près du village de Culey. (été 2022)
Le vitrail dédié à Sainte-Geneviève,
dans l'église Saint-Mansuy de Culey (Meuse).
Sainte-Geneviève, représentée à droite, est la protectrice et la sainte patronne de la ville de Paris, représentée pour sa part à gauche du vitrail par un personnage féminin tenant dans ses mains un bateau : Une image fidèle à la célèbre devise de la capitale "Fluctuat nec mergitur" (Il flotte mais ne sombre pas !)
La fête en forêt de Sainte-Geneviève, du lundi de Pentecôte 1976 :
(film muet en super 8)
Sources et références :
Archives départementales de la Meuse :
Monographie de M. Raulin (366 I)
Monographie de M. Hypollite ( U 2154)
Annales de l’Est n°1 – 2000 (PER 1490)
B 228
B 310
B 698
B 720
B 736
B 753
B 926
B 2866
B 3002
B 3044
C 790
11 E 185 à 197
15 E 610 à 678
19 E 138 et 139
45 E 124 à 136
45 EP 126
5 F 5
55 J 21
65 S 63
E 1 dépôt 103 (Culey)
Loisey :
- Recueil des actes administratifs de la Meuse
- Archives privées diverses non cotées
Médiathèque de Bar-le-Duc :
Dépot Maxe-Werly :
MS 724
MS 726
MS 733 B72
- Fonds Servais : MS 3 /II
- Mgr Aimond : Histoire de Bar-le-Duc
- La Lorraine aux XVIIe et XVIIIe siècles - Cabourdin