Le château de Loisey au XVIIème et XVIIIème siècle

Le château de Loisey ?
La Révolution en a fait table rase : Elle a anéanti la famille et mis bas les constructions; le temps a fait disparaître les archives familiales.
Au XVIIIème siècle,Dom Calmet, ami de la famille du Châtelet, a tout juste évoqué ce château...
Sollicités pour établir actes de donation et inventaires de décès, les notaires ont été trés diserts sur l'ameublement des pièces. Ils sont restés muets sur la forme, la disposition, la dimension des terrains, bâtiments et pièces. En d'autres circonstances, ils ont passé contrat entre tel prestataire de service et le seigneur...

C'est donc une multitude de petites découvertes que j'ai confiées à trois amis, enfants du village, en leur disant : « Je pense avoir retrouvé une partie de l'âme du château... Donnez-lui un corps ! »
Ils ont consulté les cadastres, arpenté les terres, ausculté les vieilles pierres et établi de nombreux plans. Ils ont ensuite confronté leur travaux pour dresser une "image vraisemblable" des lieux.
L'informatique leur a permis la reconstruction virtuelle du château des "du Châtelet" à Loisey, tel qu'il était à la veille de la Révolution.
Je regrette qu'ils aient tenu à garder l'anonymat, mais je suis trés heureux qu'internet permette l'accès à cette mémoire... et je les en remercie.

Bernard THOMAS

 

 

 


 

 

Croquis représentant l'implantation du château et de son domaine
au milieu du village de Loisey.

La "confiscation" par le seigneur d'une portion du chemin royal qui traversait le village avant 1640 a des effets qui se font encore sentir de nos jours.
La route, rectiligne à l'origine, contourne maintenant l'église par le sud-est.
Le net décrochage dans l'alignement des maisons au niveau du n° 53 de la Grande-Rue semble en effet accréditer la preuve d'une modification ancienne dans la configuration de la rue principale de notre village.

 

 

La construction du château et les différents propriétaires.

Les hommes bâtissent maisons et châteaux... Qui donc avait érigé le château de Loisey ? Il nous faut plonger dans les profondeurs du passé.

C'est Louis-Jules du Châtelet, (de la branche Pierrefitte), seigneur de Cirey, qui est le premier bâtisseur du château de Loisey vers 1640.
C'était pendant la terrible Guerre de Trente ans et ses invasions diverses... Pour se "remettre en équipage" suivant sa propre expression, Louis-Jules du Châtelet décida donc d'ériger un château sur ses terres à Loisey, mais en plein milieu du village et tout prés de l'église.
Il prétendit avoir protégé le village en versant une rançon de 14000 livres à la soldatesque pour éviter une occupation sauvage. Pour se renflouer, il s'empara (ou fit vendre) des bois appartenant à la communauté et ne reconnut pas sa dette. En outre, pour implanter son château, il s'empara de terrains au milieu du village et empiéta même sur le "Chemin Royal" traversant la localité. Il terrorisa la population qui n'osa pas porter plainte.

Son fils, Charles-Antoine du Châtelet, eut le même comportement que lui !
Gouverneur militaire de Graveline, ce dernier poursuivit la construction du château de Loisey... Il se maria avec une dénommée Marie de Neuville et eu une fille, Marie-Gabrielle-Charlotte, mais il n'eut pas d'autre enfant.
Charles-Antoine décèdera à Paris en 1680, huit ans après son père.
C'est à cette date que les habitants de Loisey osèrent porter plainte pour réparation des dommages subis quarante ans plus tôt. Le procès fut gagné en appel à Paris et les derniers dommages furent payés à la communauté le 22 octobre 1709.

Il n'y a plus de descendance masculine de Louis-Jules du Châtelet qui eut pourtant douze enfants ! La succession ira donc à Nicole, la seule fille de Louis-Jules qui ai trouvé mari...
Les années passent et Nicole fait don de la succession à Marie-Gabrielle-Charlotte (sa nièce) dont on a déjà parlé. Marie-Gabrielle-Charlotte prend alors le titre de Dame de Cirey, Pierrefitte, Saint-Amand... Ce don lui échoit à l'occasion de son mariage avec Florent du Châtelet Trichateau, un lointain cousin. C'est un brillant militaire, portant le titre de Lomont. Il a 40 ans, elle a 14 ans... Et ils résident tous deux officiellement à Paris. Le mariage a lieu en 1692.

Treize ans plus tard, le 15 mai 1705, Le duc de Lorraine Léopold accorde à Florent du Châtelet des lettres patentes d'inféodation du château de Loisey. Florent est alors lieutenant général et gouverneur militaire de Dunkerque. Le couple résidera dans cette ville plusieurs années et Marie-Gabrielle-Charlotte y décèdera en septembre 1705.
Elle est inhumée dans l'église paroissiale de Dunkerque.
Aucun de leurs sept enfants n'a vu le jour à Loisey.

Le 23 octobre 1729, une grande réunion de famille se déroule au château de Loisey. S'y retrouve :

  • Florent, comte de lomont (le père),
  • Florent-Claude (le fils ainé), accompagné de sa femme Gabrielle Emilie de Breteuil,
  • Florent-François (le second fils),
  • Marie-Madeleine-Suzanne (fille non encore mariée)
  • Marie-Florence (fille non encore mariée)

Florent, comte de Lomont, se retire à Semur-en-Auxois où il décède le 27 janvier 1732.
On ne retrouvera pas d’autre trace de la résidence de Florent comte de Lomont, au château de Loisey.
L'aîné des enfants, Florent-Claude du Châtelet, portera le titre de marquis.
Il est aussi propriétaire du château de Cirey-sur-Blaise dont on parle beaucoup quand on évoque sa femme, la marquise du Châtelet... C ’est cependant au château de Loisey, chez son frère, qu’il se retire à une date non connue. Il y décède le 28 novembre 1765.
Il est inhumé dans le chœur de l'église de Loisey.


Florent-François du Châtelet, frère de Florent Claude, célibataire, devient propriétaire de la châtellenie de Pierrefitte et du château de Loisey à une date inconnue.
Sa présence au château est plus marquée à partir de 1765, où il réside probablement en permanence.
Il y décède le 17 juillet 1783.
Il est inhumé dans le chœur de l'église de Loisey. Il y rejoint son frère, ainsi qu’une de leurs sœurs, Marie Madeleine Suzanne veuve du marquis de Chaugy Roussillon.
Elle résidait au château de Loisey depuis 1774 où elle décéda en 1778.


En 1780, Florent François, sans descendance, fait donation de ses biens à son neveu, le duc Louis-Marie-Florent du Châtelet (fils de Florent-Claude et d'Emilie de Breteuil).
Personnage d'importance nationale, le duc a un appartement réservé au château. Il vient chasser dans les bois de Loisey.
Aux Etats Généraux de 1789, il est élu député de la noblesse du Barrois. Puis la suite des événements fait qu’il est accusé d’émigration et guillotiné en décembre 1793. ll n’a pas de descendance.


Le château de Loisey devenu propriété de la nation est dépecé et vendu par lots à des carriers qui cèdent les pierres aux plus offrants.

 


 

 

 

Marie Gabrielle Charlotte du Chatelet

Portrait de Marie-Gabrielle-Charlotte du Châtelet.

On trouve ce tableau au musée de Bar-le-Duc. Elle est représentée en Diane, et dénommée (à juste titre) "marquise du Châtelet".
On dit souvent à tort, qu'il s’agit de Gabrielle Emilie, l’amie de Voltaire. Les experts disent qu'il s'agit d’un tableau peint à la fin du 17e siècle, ce qui correspond bien à l'époque où vivait Marie-Gabrielle-Charlotte. Copyright collection du Musée barrois - Ville de Bar-le-Duc.

 

 

 

Portrait de Louis-Marie-Florent duc du Châtelet (1727-1793)
par Joseph-Siffrein Duplessis.

 

 

Ce qu'on a écrit sur le château.

Le château a disparu corps et biens... Beaucoup de ses archives ont subi le même sort, hélas ! Sans elles, peu de traces de vie...
Cherchons quand même !
C’est dans le contrat de mariage liant Charles-Antoine à Marie de Neuville établi en mars 1677 à Paris que l’on trouve la première mention du domaine : « La future aura son habitation au château de Loisey. Elle en jouira... ensemble basse-cour, colombier, jardin, fossés et pré clôturé ».
C’est sommaire et peut-être seulement une clause de style en ce qui concerne la résidence. En effet, ni son pére Louis-Jules, ni lui-même qui ont supervisé la construction du bâtiment, n’ont laissé de témoignage écrit.


Marie-Gabrielle-Charlotte (fille de Charles-Antoine) nous a légué, elle, son portrait. Ce tableau était accroché dans un des salons du château ; y résida-t-elle ? Question sans réponse.
On sait seulement qu’un service funèbre fut célébré en l’église de Loisey le 8 septembre 1705, pour le repos de son âme et qu’elle est inhumée a Dunkerque.


C’est dans les lettres d’inféodation délivrées par le duc Léopold de Lorraine en 1705 que l’on trouve trace, de nouveau du château « comprenant cour, basse-cour avec parterre, jardin derrière et à coté et une plate-forme derrière ledit jardin et parterre ».
Au décès de Florent comte de Lomont en 1732, le titre de marquis du Châtelet et seigneur de Cirey revient au fils ainé Florent-Claude.

C'est au second fils, Florent-François, célibataire, qu’échoient la châtellenie de Pierrefitte et le château de Loisey. Les deux frères sont officiers. Le premier séjourne à Cirey lorsque cela lui est possible. Le second vient se reposer à Loisey. Florent-François est lieutenant colonel lorsqu’en 1741, Dom Calmet publie une « Histoire de la Famille du Châtelet ». L’auteur écrit que « le château de Loisey sera trop important si on poursuit sa modification selon les plans prévus. »

Florent-François est "Chevalier non profès" de l’ordre de Saint Jean de Jérusalem (actuellement ordre de Malte). C’est comme officier qu'il y fit ses premières armes de 18 à 20 ans, sans doute sur des vaisseaux de l'ordre de Malte, qui à l'époque, combattaient les pirates barbaresques en Méditerranée. Ensuite il servit dans l'armée française jusqu'au grade de Lieutenant Général.
On trouve trace de Florent-François à Loisey en 1745, puis ensuite, régulièrement de 1764 à 1783, époque où il profitait de sa retraite. Il fut le seul membre de la famille du Châtelet à résider aussi longtemps au château : 20 ans.


Le château et la châtellenie étaient administrés par un gérant (on disait admodiateur). Avec le seigneur, il passait contrat pour une durée de 3, 6 ou 9 ans.
J’ai trouvé trace de dix gérants entre 1705 et 1783. Leurs responsabilités et leurs pouvoirs se sont modifiés avec le temps.
Richier, admodiateur à partir de 1718, habite au château «Il jouira des pavillons d’entrée qui donnent sur la rue ». En 1724, il a comme domestiques Jean Douin et sa femme qui sont engagés comme jardiniers. «Ils seront logés à la chambre au-dessus (où il y a un four pour cuire le pain). Ils ne pourront ni vendre ni donner de choses provenant du jardin, sauf ce qu’ils récolteront sur les deux petits panneaux de terre, près des latrines : comme gages, ils percevront 45 livres tournois par an ».
En septembre 1718, Richier a acheté 120 tonneaux neufs « propres à mettre le vin » à deux tonneliers de Seigneulles.
En 1729, Morvaux, bourgeois de Bar et son épouse «occuperont les appartements antérieurement habités par Richier ou bien dans l ’appartement opposé au bâtiment du côté des écuries et contenant trois chambres.
Il entretiendra le potager; les arbres fruitiers et partagera par moitié les fruits entre lui-même et le seigneur lorsqu'il viendra ou bien avec Monsieur de Marne, en l'absence du seigneur ».
En 1737, l'admodiateur Jourdas signe un bail de neuf ans. «Il paiera au seigneur 10 000 livres par an (dont 1071 au titre des impôts dus au Roi). Il paiera les services funèbres célébrés pour les seigneurs défunts. En outre, il versera au seigneur 70 000 livres en bonnes pièces d'argent à titre de pot de vin » (Ces sommes très importantes montrent que l'admodiateur gère pour le seigneur les revenus des neuf villages de la châtellenie. Ceci implique en outre des mouvements importants entre ces villages et le château)
« Il pourra, s’il le juge utile, loger dans l'appartement du bas du château. Il jouira de la première écurie du côté de la grande porte d ’entrée ; du grenier pour y loger l’avoine, du pavillon pour y loger le blé».


En 1746, son successeur, Varambel, se voit imposer des restrictions s’il demeure au château : « il devra se contenter de la chambre au coin dormant donnant sur la chambre nouvellement construite à côté du grand salon ». On voit par là, que le château a été remanié.
Monsieur de Brye, négociant à Naives-devant-Bar, est le dernier administrateur : il signe son contrat le 25 décembre 1782. Apparemment, il ne réside pas au château de Loisey.
Les contrats passés avec les gérants signalent parfois des réparations à effectuer, d’où quelques trop brefs détails.
En 1730 on signale des cloches à melon, des arbustes d'ornementation (charmilles, buis), des arbres fruitiers : poiriers, pêchers, abricotiers, cognassiers. Les espaliers sont en mauvais état : les Charmilles n’ont pas été taillées depuis vingt ans ; les arbres sont galeux, moussus ; les palissades de clôture sont à remplacer. Au-delà du château, la tuilerie est à remettre en état ; le colombier (au dessus de la fontaine du château) ne contient plus que trois pigeons et trois paires de pigeonneaux : il devrait y avoir 200 paires de pigeonneaux.
En 1739, dans le pré Chevalier (nommé en référence au titre de Florent-François), la fontaine est maintenant couverte et fermée à clé. L’eau est amenée de la fontaine au château par des conduites en bois enterrés. Le cours d’eau de la fontaine passe au dessus des conduites pour assurer leur conservation et pour l'arrosage des prés.
En 1773, on lit dans « la mémoire alphabétique du Barrois » :
« Il y a à Loisey, un château bâti en 1660. Il a été extérieurement agrandi et embelli ; c’est un des plus beaux et
des plus agréables de la province ».

 

 


 

Les documents d'archives :

 

Une page de l'inventaire du château effectué lors de la donation de Florent-François du Châtelet à Louis-Marie-Florent duc du Châtelet-Haraucourt (Total de 28 pages en date du 2 janvier 1780) Archive : 13E346 Baillot-notaire.

 

Une page de l'inventaire réalisé à la mort du chevalier Florent-François du Châtelet (Total de 48 pages en date du 17 juillet 1783) Archive : 2B837

 

 

 

 

Etat des lieux du château de Loisey pour préparer sa vente
(22 pages en date du 28 et 29 juillet 1793) Archive Q640 (Retranscription)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'aspect général du château de Loisey au XVIIIème siècle.

Au milieu du XVIIIème siècle, les châteaux ne manquaient pas dans notre contrée. Des bâtisses plus ou moins imposantes en avaient le titre.

- A Erize-Saint-Dizier, les "De Mitry" (successeurs du comte de Franquemont) résidaient dans la maison sise 26, rue du Pont de Tannois.
- A Salmagne, le château bâti au XVIème siècle par un colonel croate était habité par madame de Rapsecourt... Dans son impasse, il garde encore de belles traces du passé.
- A Guerpont, derrière l'église, on retrouve les traces du château de Mr de Jobard, conseiller à la chambre des comptes de Bar, qui résidait plutôt dans son hôtel particulier à Bar-le-Duc.
- Il y avait le vieux château de Ligny également... Voici ce qu'en écrit Voltaire en mars 1748 :

Nous cheminâmes vers ces tours
où logeaient les vieux Luxembourg.
Assis au bas de la montagne,
Ligny ce pays de cocagne,
offre à l'oeil un tableau charmant.
Son parc qui plait assurément
par son assiette et son espace,
aurait encore meilleure grâce
et serait souvent fréquenté,
s'il avait plus de propreté.
Car c'est toujours un vrai dommage,
de négliger pareil ouvrage...

Ces anciennes demeures ne nous éclairent pas sur l'aspect du château de Loisey au XVIIIème siècle...
Avançons un peu... A Guerpont, au 75 rue Laurenceau Bompart, c'est un petit palais de l'époque !
Résidence du supérieur du Prieuré se Silmont, édifié en 1747, vendu à la Révolution, démonté et remonté à l'identique à Guerpont... Un vrai manoir ! Malgré des ajouts plus récents, sa façade donne un aperçu de l'art de l'époque. Le côté jardin est majestueux.
C'est à Tronville-en-Barrois que l'on découvre un raffinement décoratif proche de celui décrit au château de Loisey :
Il s'agit de la mairie qui occupe actuellement le château construit par le baron Du Tertre en 1731. L'entrée est d'ailleurs pavée de pierres provenant du château de Loisey réemployées aprés sa destruction... Les armoiries des Du Châtelet qui y figuraient ont disparu. La Révolution qui détruisait là-bas a réparé ici...
Et curieusement, les deux châteaux ont été mis en vente le même jour, mais il n'y eu qu'un seul rescapé...
La forme des voûtes, les peintures, les attiques, nous ramènent aux splendeurs de l'époque. A côté de l'ex-château, l'ancien four banal montre encore ses arcades.

La donation que fait le chevalier Florent-François à son neveu, le lieutenant général Louis-Marie-Florent duc du Châtelet Haraucourt, conduit à l'établissement d'un inventaire en janvier 1780.
Suivons le notaire à la rencontre des occupants.
Dans le pavillon du milieu (celui qui donne sur la rue) on trouve quatre couchettes garnies de leur literie. Là couche,
probablement, une partie de la domesticité. Dans le grand bâtiment des communs, les deux écuries ont chacune une chambre pour les palefreniers.
Difficile de bien localiser la chambre du jardinier. Peut-être est-elle dans la partie en équerre, au bout du bâtiment des communs ? Celle du Père aumonier se trouve au-dessus.
Toutes ces chambres sont équipées de literie et d’un mobilier sommaire ; il n’y a pas de cheminée.
Voici maintenant quelques chambres dans le château :
Un lit dans l’office sert pour le repos du maître d’hôtel.
Mademoiselle Gérard (intendante et gouvernante) vit dans une pièce remplie d'armoires (au moins quatre) bourrées d’une multitude d’objets divers. Pour son usage, elle dispose d'un lit, de tables et de chaises, mais il n’y a pas de cheminée.
Lorsqu’il est de passage, Monsieur le duc occupe "une suite" : chambre, salon et pièce pour son valet. Son appartement est embelli par les couleurs dominantes : jonquille et bleu. (Ce sont, dit-on, les couleurs préférées de sa mère, la célèbre marquise Emilie du Châtelet, l’amie de Voltaire.)
lnoccupée, la chambre de Madame la marquise de Chaugy Roussillon (Soeur de Florent-Francois et de Florent-Claude ; Marie-Madeleine-Suzanne) se remarque par les couleurs que l’époque cite ainsi : vert et flambé.
Monsieur le chevalier vit dans une chambre, dont le coloris dominant nous heurterait, d’autant qu’il est largement employé pour les tentures, divan, et fauteuils : On a recours a un velours d’Utrecht cramoisi.
Enfin au grenier, on trouve une couchette garnie, destinée sans doute à un serviteur.
D’autres chambres, modestes, ne sont pas assignées à tel ou tel locataire.


Devenu propriétaire du château érigé par son arrière-grand-père, Florent-François l’a profondément remanié. En 1780, c'est une très belle résidence de style XVIIIème siècle.
La visite trop sommaire de quelques pièces nous a mis en appétit. De l’aride énumération notariale essayons de faire ressortir un style, un mode de vie... une âme.
Les communs sont bien séparés de ce dont le propriétaire s’enorgueillit : le château.


Le château :
C’est un bâtiment rectangulaire à quatre niveaux, avec cour enveloppante et jardins à la francaise derrière.
L'ensemble a une assise de deux hectares. Au fond du jardin, on accède à une terrasse par un escalier en fer à cheval. Un domaine arboré de quatre hectares suit la terrasse.
Dans le jardin, allées de tilleuls, de charmilles, quartiers bordés cle buis, mettent en valeur la fontaine au centre. En été, on dispose harmonieusement les caisses de grenadiers et de lauriers sorties de la serre.

Combien de conduits de cheminées jaillissent du toit ? Difficile de répondre avec précision, mais les inventaires font état d’au moins dix huit feux !
Les armoiries de la famille sont sculptées aux frontons.
Le premier niveau du bâtiment (que l’on nomme souterrain) est réservé aux cuisines, caves et réserves : le jour y pénètre par des larmiers barreaudés.
Les deux étages au dessus, servent au logement, aux réceptions, à la vie de tous les jours.
ll y a plusieurs natures de sol : carrelages de pierre blanche, marquée aux angles par des carreaux de marbre noir, parquets de chêne losangés ou simples.
Des boiseries sculptées habillent les murs des plus belles pièces. Toujours à l'intérieur, les linteaux des portes et fenêtres sont souvent surmontés d’un panneau sculpté ou d'une peinture : Ce sont « les attiques », on en dénombre plus de 50 !
Les cheminées sont en belle pierre de taille avec souvent des plaques de marbre rouge, gris ou de différentes couleurs.
Le mobilier est moderne : commodes et encoignures à dessus en marbre, tables à « pied de biche » (On dit maintenant « style Louis XV »), tables à jeu recouvertes de velours vert.
Le plus pléthorique, ce sont les sièges, divans, fauteuils, chaises, tabourets (On compte : 147 fauteuils de paille, 68 fauteuils de velours ou tapisserie, 1 canapé de velours, 43 chaises en majorité paillées, 12 tabourets. De quoi asseoir 271 personnes).
Tentures et rideaux sont à la mode. Ils sont très souvent en velours. Les teintes sont appareillées aux fauteuils et aux paravents.
Des appliques dorées, (à une ou deux branches) portent les bougies. Dans les chambres ou cabinets de toilette, on trouve couramment bougeoir, miroir, du nécessaire de toilette (cuvette et cruche en faïence), pot de chambre ; parfois bidet en faïence ou chaise percée, et aussi cafetière, théière et sucrier.
Dans le grand salon, on remarque deux grands tableaux : L’un représente « Monseigneur et Madame le comte de Lomont » ( Florent et son épouse Marie-Gabrielle-Charlotte) ; l’autre représente la «Dame » (son épouse seule). Ce sont les seuls tableaux représentant des personnages connus.
Tout cela semble engourdi maintenant... Bien des années se sont écoulées depuis que Florent-François a établi sa résidence ici, puis s’y est installé au moment de sa retraite.
L’empreinte de sa carrière militaire y est encore très marquée : Les cartes représentant les pays où il a eu à en découdre sont nombreuses. Elles suppléent à l’absence de tableaux : Sabre de bataille, pistolets garnis d’argent, fusil, sont exposés dans la bibliothèque.
Dans les resserres, deux cuirasses d’apparat et une foule de coffres ou de malles rappellent les expéditions passées où le vieux carrosse de campagne (maintenant remisé) le conduisait.
Cependant le chevalier n’est pas qu’un homme d’épée, il aime se cultiver. On dénombre 900 volumes dans sa bibliothèque. Il se tient au courant des idées nouvelles. L'encyclopédie de Diderot en 21 volumes (une fortune à l'époque) est fortement mise en valeur. On la voit trôner dans le salon de réception entre deux beaux trumeaux de deux glaces chacun, encadrés et dorés. De quoi en choquer plus d’un !
Tout assoupi qu’il soit en 1780, le château n'est pas un monument que visiteraient les touristes, il vit encore.
Les jardiniers travaillent toujours. Dans les greniers du château, bien à l’abri, on stocke avoine, orge, blé, farine. On y étend les grandes quantités de linge qu'imposent les lessives qui ne se font que deux ou trois fois l’an. ll en faut des perches pour tout étendre !
Dans les caves gisent les tonneaux : vin courant pour le personnel, vin choisi pour le seigneur, le tout provenant du pressoir banal situé de l’autre côté de la grande rue. Les bonnes bouteilles, achetées dans d’autres régions, ne manquent pas.
Dans les communs, on stocke le foin provenant du pré Chanel (entre Loisey et Culey), et dans la cour, la masse de cent cordes de bois (300 stères) ne passe pas inaperçue.
Dans la cuisine, on trouve huit fusils pour les plaisirs de la chasse : trop âgé, Florent-François ne chasse plus dans les 55 hectares achetés dans la forêt de Sainte Geneviève. Mais on sait que son neveu, le duc, est passionné de ce sport!
Outre la domesticité, qui donc réside encore au château, autour du chevalier âgé de 80 ans ?
Mademoiselle Gérard, la gouvernante, est en place depuis plus de 15 ans. Ses rapports avec son maître nous surprennent. Plusieurs fois, elle lui prête de l'argent avec intérêt (5%), cela se fait devant notaire.
On dit joliment « qu’elle se constitue une rente ». C’était une pratique assez courante à l'époque.
Madame la marquise de Chaugy Roussillon (dont la chambre est restée en l’état) est décédée en 1778. Enterrée dans l’église de Loisey, elle a rejoint son frère aîné Florent-Claude dont on ne sait presque rien sur ses passages à Loisey, hormis son inhumation.
Il y a aussi Mademoiselle Renault qui a déjà établi son testament ici, au château, en 1775.
Quelques années plus tôt, la marquise des Ayvelles, apparentée aux du Châtelet, quittait parfois son hôtel de Bar-le-Duc pour séjourner à Loisey. Dans une lettre à sa fille, elle raconte comment Monsieur de Jobart, seigneur de Guerpont (un voltairien convaincu !) s’était fait ridiculiser par Monsieur le duc Louis-Marie-Florent du Châtelet qui l'avait confondu avec le maître d’école. Voici un extrait de cette lettre :
« Monsieur de Jobart prétend toujours mettre en action ce qu’il entend dans l'aréopage (lieu de discussion politique).
Il arrive de Guerpont à pied, suant, soufflant, en perruque plate et sans poudre... hormis à ses guêtres qui étaient blanches.
Monsieur l’Ambassadeur (Le duc du Châtelet, ambassadeur à Vienne, puis à Londres à partir de 1761) crut que c'était le magister (le maître d'école, de très modeste apparence), mais le reconnaissant, il lui dit en courroux : « Dieu t’a fait gentilhomme, le Roi t’a fait lieutenant... fais quelque chose pour toi, morbleu... va te faire la barbe ! »


On sait aujourd’hui que la jeunesse du village de Loisey était autorisée à venir s’amuser dans la cour du château lors de grandes occasions... En 1780, pouvait-elle encore le faire ?
Les échos sur la vie au château sont extrêmement rares.


Bernard THOMAS.

 

 

 

Plan présumé de l'emprise totale du château de Loisey.
(Document Bernard Thomas avec l'aide de plusieurs amis)

 

 

 

 

Le château de Loisey

Reconstitution virtuelle de la façade principale du château de Loisey
à son apogée.
(Document Bernard Thomas avec l'aide de plusieurs amis.)

 

 

 

 

Le puits Monsieur

Située au nord du domaine seigneurial, la source du puits Monsieur servait à alimenter le château en eau douce. Des éléments de conduite en bois ont d'ailleurs été retrouvés sur le parcours il y a quelques dizaines d'années. L'étymologie de ce nom "puits Monsieur", littéralement "le puits de Monseigneur" semble une preuve évidente sur l'ancienne attribution de l'eau de ce puits destinée au château.

 

 

 

 

La salle principale de la mairie de Tronville-en-Barrois est pavée de pierres provenant du château de Loisey. Elles ont été acquises aprés la vente de ce dernier à la Révolution et réemployées dans la réfection du château "du Tertre" qui sert maintenant de mairie à la municipalité de Tronville.
(Photo prise avec l'aimable autorisation du secrétariat de mairie de Tronville-en-Barrois)

 

 

 

 

La décoration intérieure et les boiseries XVIIIème siècle du château du Tertre de Tronville-en-Barrois sont de même facture que le château de Loisey, son homologue remanié à peu prés à la même époque. (Photo prise avec l'aimable autorisation du secrétariat de mairie de Tronville-en-Barrois)

 

 

 

 

Boiseries et panneaux peints au XVIIIème siècle (signés Louis Yard) du château "du Tertre" de Tronville-en-Barrois.
(Photo prise avec l'aimable autorisation du secrétariat de mairie de Tronville-en-Barrois)

 

 

 

Passer la souris sur cette vue aérienne du village de Loisey pour visualiser l'emplacement du château
et des principales parties du domaine. (d'aprés le plan présumé de l'ensemble)

 

 



 

Une visite détaillée du château (vers 1780).

Le château de Loisey fut-il un jour dessiné, peint ? Ses plans furent-ils levés ? Trois ans de recherche ne m'ont pas encore permis cette découverte.
Ce qui va suivre est le résumé de différentes sources : Testament, descriptions sommaires des ventes à la Révolution ; si bien que nous savons ce que contenait le château en 1780, sans en connaître la disposition précise.


A Loisey, le château se situait (vraisemblablement) en face de l'ancien bureau de Poste, bâtiment qui lui est contemporain.
Supprimez les maisons suivantes : Impasse du Château n°2 et ses dépendances, Grande Rue n°69 et n°71. A leur place, dessinez un rectangle, parallèle à la route, de 50 mètres de long, 10 mètres de profondeur : c'est la cour d'entrée. A gauche, perpendiculaire à la route, un grand bâtiment d'un étage plus grenier, sur rez-de-chaussée (en gros, la partie gauche de l'actuelle Impasse du Château), ce bâtiment contient les remises, écuries, bûcherie, les chambres de domestiques.
Depuis la rue, le dos tourné à l'ancienne Poste, au fond de la cour, nous voyons le château : Sans doute, un bâtiment à étage mansardé, avec grenier, toit couvert d'ardoises. Sur les trois frontispices, les armoiries de la famille du Châtelet.


Au rez-de-chaussée : un vestibule, un corridor sur lequel sont distribués : grande cuisine, cuisine de dépense, pièce de resserre (qui est également la chambre de la gouvernante), office, salle à manger et son anti-chambre, un cabinet à recevoir, un petit salon, une salle de bain, et onze chambres à coucher.
On arrive à l'étage par un grand escalier qui débouche sur un second corridor d'où se répartissent : le grand salon, la bibliothèque, sept chambres avec plusieurs garde-robes, deux cabinets de toilette et un galetas.
L'hôte des lieux, le Chevalier Florent-François du Châtelet (80 ans) a sa chambre au 1er étage, de même que sa soeur, madame la Marquise du Chaugy-Roussillon, décédée il y a peu en décembre 1778.
Monsieur le Duc Louis-Marie-Florent du Châtelet, neveu du châtelain, résidant habituellement à Paris, a également une chambre réservée au rez-de-chaussée.
D'autres chambres ont également leurs titulaires : Mademoiselle Renan, Monsieur l'Aumônier, le jardinier...
Voici donc, au principal, 36 pièces -donc une belle demeure- d'où jaillissent les nombreuses cheminées : 21 en tout dont deux pour des poëles ; les autres, selon la conception classique de l'époque, en pierre ordinaire ou marbre ( Le conduit de cheminée du 99 Grande Rue provient (probablement) du château.


Le vestibule, en bas, est encombré de fauteuils de paille et de bancs en bois (de quoi asseoir une trentaine de personnes). Ils ont été rangés là avec des tables de chêne, ceci à cause de la saison. L'inventaire est fait en hiver.
Au plafond, deux belles lanternes avec leur chapiteau, et au mur, 6 grandes cartes représentant différents pays.
Au pied du grand escalier, même encombrement peut-être pour la même raison ? Il y a une grande carte de Hollande.
Au rez-de-chaussée, voici maintenant le petit salon : deux tables à jeu garnies de leur tapis, une commode et son dessus de marbre garni d'argent haché, renfermant quantité de cartes. Six fauteuils, un tabouret, et leurs coussins, l'ensemble garni de velours jonquille, deux fauteuils de paille.
La cheminée, garnie, est surmontée de deux chandeliers en bouquet (on dit "bras de cheminées"), deux encoignures dessus marbre, un miroir de toilette et un autre dans un cadre doré. Au mur, une tapisserie est assortie aux huit rideaux de toile jonquille.
Le cabinet de réception est très beau : Cheminée avec sa garniture de deux chandeliers doubles, quatre tables à jouer garnies de leur tapis vert, douze fauteuils de paille, sept fauteuils garnis de tapisserie de toile peinte sur fond blanc, deux paravents de chacun six feuilles en damas cramoisi et cinq grands écrans garnis de leur feuille en tapisserie fond blanc et rouge, une commode et sa garniture, ainsi que deux encoignures (le tout avec dessus marbre)
Deux beaux trumeaux de deux glaces chacun, encadrés et dorés, avec leurs attiques, sont disposés au-dessus des 21 volumes "in quarto" de l'Encyclopédie.
Dans la pièce qui précède la salle à manger, on trouve un fourneau en tôle avec son tuyau (ce qui est rare ici), une fontaine avec sa cuvette en cuivre rouge.
Dans le buffet, sont disposés des cristaux et des figurines de Saxe en porcelaine. N’omettons pas les tables en chêne à pied de biche ("style Louis XV"), une lanteme, deux chandeliers.
Dans la salle à manger, sont disposés : Deux "tables à manger" en chêne, une table à pieds de biche dorés et son dessus marbre, un grand buffet et sa plaque de marbre, douze fauteuils, douze chaises de paille, deux paravents de toile cramoisie, deux chandeliers, une tapisserie de toile cirée fond gris, quatre rideaux de mousseline encadrés de toile peinte fond brun, et bien sûr, la cheminée garnie.
Dans la salle de bains, l'ameublement est sommaire : Une "baignoire à prendre les bains" avec son entonnoir de "laiton de cuivre rouge" (?) et une chaise percée en bois.
On ne signale ni accessoires de toilette, ni miroir. Les accessoires de toilette, comme d’ailleurs les vêtements, n’ont pas été inventoriés.


A l'étage, on découvre le grand salon.
Dans celui-ci se trouve : sept tables à jouer recouvertes de leur tapis vert, avec onze fauteuils de paille, onze fauteuils en velours d’Utrecht, une grande table à pieds de biche dorés et son dessus de marbre, douze rideaux de camelot cramoisi, deux chandeliers dorés à deux branches. Aux murs : trois grandes cartes de différentes provinces, un tableau représentant Monseigneur le Comte Florent du Châtelet-Lomont et Madame, et un autre tableau représentant seulement la dame son épouse (Marie-Gabrielle Charlotte du Châtelet).


Autre pièce importante : la bibliothèque.
Cette pièce est meublée de quatre fauteuils de paille, quatre fauteuils ordinaires et un tabouret garni de velours d’Utrecht bleu, une commode avec son dessus en marbre et sa garniture dorée, une armoire contenant plusieurs cartes de géographie, un secrétaire de campagne, deux miroirs encadrés, deux chandeliers en cristal à deux branches.
Quatre rideaux de mousseline, encadrés de toile peinte en bleu, encadrent les vitres.
Sont suspendus au mur : un fusil à poudre blanche, un sabre de bataille.
La bibliothèque proprement dite contient 950 volumes reliés (de différents formats : in quarto, in octavo, in douze, in folio) et 50 brochures.
Dans des tiroirs, en bas de la bibliothèque, on trouve : Deux poignées de sabre de bataille en acier, deux paires de pistolets, à double coup, garnis en argent avec armoiries, une paire de pistolets à un coup garnis de cuivre, quatre étuis de gobelets de vermeil, trois gobelets ovales, et une salière à deux compartiments dorés et armoriés.
Dans les tiroirs également, les papiers de la Terre de Pierrefitte et autres.
Enfin, sur les portes et volets de la bibliothèque, il y a des rideaux de taffetas bleu.
A noter que les pièces d’apparat sont lambrissées avec ornements sculptés. Elles sont également parquetées (le grand salon sera réparé : des feuilles de parquet sont en réserve à cet effet).
Les cheminées sont surmontées parfois d’un trumeau avec glace : on parle rarement de tableaux.
L'inventaire du notaire ne décrit pas le grand escalier, dommage !


Sur les 18 chambres, visitons-en deux, l’une opulente, l’autre plus modeste.
Voici celle de Madame la Marquise de Chaugy-Roussillon :
La cheminée est protégée par un écran à tapisserie. Il y a quatre fauteuils de paille, six fauteuils et deux tabourets (avec leurs coussins) recouverts de velours d’Utrecht vert, une commode avec dessus ovale, garniture en cuivre doré, un secrétaire, un grand miroir de toilette, deux chandeliers dorés, un lit garni avec une couverture de toile de coton flambé et rideaux peints en vert, huit rideaux dont quatre de portière en velours d’Utrecht vert.
La chambre proche de celle de Madame la marquise est plus modeste ; elle contient : un lit à chapelle avec une couverture de toile peinte à fond rouge garni de ses rideaux, une table à pieds de biche et une autre table, trois chaises, un fauteuil de paille.
Les lits varient suivant la forme et la disposition des rideaux. Il y a des lits : à la duchesse, à la chapelle, des lits de camp.
Ce que l'on appelle "lit garni" fait curieusement abstraction du "bois de lit".
On n'en a trouvé que deux comportant un sommier, les autres sont composés de : trois matelas, un lit de plumes. lls ont une ou deux couvertures de laine, de filoselle (bourre de soie mélangée à du coton), ou coton seul, rarement un couvre-pied. Il y a des traversins, oreillers, draps, dans les chambres occupées.
Rideaux et housses de lit sont assortis dans chaque chambre : bleu et blanc, rouge et blanc, jonquille et bleu (chambre de M. le Duc), rose-flambé-cramoisi (chambre de M. le Chevalier), vert et flambé (chambre de Mme la Marquise du Chaugy-Roussillon).


Voici maintenant le "royaume" de l’intendance :
Dans la grande cuisine, la cheminée est active avec son tourne-broches, sa chaîne, ses broches avec deux contrepoids, la crémaillère à trois branches et le dressoir en chêne.
C'est aussi le domaine des chasseurs. Ils y disposent de huit fusils dans lesquels on trouve deux fusils de maître garnis d’argent (un à deux coups, un à un seul coup) et une carabine à deux coups.
Une grande table de chêne supportant des poêles, braisières, bassines à confiture, seaux pour "donner à manger" à la volaille se trouve dans la cuisine de dépense qui est contigüe. Là, le regard est attiré par les étains : 18 chaudrons, 12 assiettes, et par les cuivres : 34 casseroles tant rondes qu’ovales avec, pour certaines, leur couvercle, onze marmites, quatre tourtières, un four de campagne et aussi des passoires, poissonnières, cuillères, moule à biscuit...
Tout cela s'anime des reflets du feu. Le lit, dressé pour la servante, est garni de toile peinte.
L’office fait suite. Outre six chaises de paille et deux tables, on y trouve surtout la vaisselle : Cent trente pièces en faïence (plats et assiettes en majeure partie), 190 pièces d'étain (dont 12 douzaines d'assiettes en étain d’Angleterre... certaines sont fendues !). Là aussi, il y a un lit garni.
La chambre de la gouvernante comporte son "coin résidence" avec une cheminée, un fauteuil, six chaises, trois tables et le lit garni ; celui-ci comporte un sommier, ce qui est rare.
Sous sa responsabilité, sont logées dans quatre grandes armoires de chêne de grandes quantités de linge de maison et de table. Dans trois armoires, sont rangés : cinquante paires de draps de domestiques (tant bons que mauvais), cinquante draps de maître dont seize de lin, les autres de chanvre, dix huit paires de draps de toile de Hollande, quatre services de table damassés, composés d’une nappe et treize serviettes, 380 serviettes "tant nappées, qu’ornées ou damassées", 52 nappes en toile de chanvre fine ou grosse damassées grain d'orge, 80 tabliers de cuisine, 80 torchons... ll y a aussi quelques couvertures, rideaux, traversins, oreillers, coupons de tissu et un peignoir de toilette.
La quatrième armoire contient, en réserve, tout un assortiment d’objets de table, de cuisine, de maison : des objets que l'on utilise sans doute plus rarement, citons :
- En vermeil : quatre saucières en argent: dix grands flambeaux et leurs bobèches, douze petits flambeaux, quatre pots à rafraîchir le vin, une chaufferette, deux réchauds à esprit de vin, cafetière, chocolatière, six saucières, trois huiliers, 18 plats, 48 couverts, plus deux douzaines de cuillères diverses, 20 brochettes.
- En cristal : deux petites carafes.
- En fine porcelaine de Chine : six plats, 84 assiettes.
- En matières rares : Cinq étuis contenant, les trois premiers : douze couteaux à manche d’ivoire garni d’argent, douze couteaux à manche de porcelaine garni d’argent, douze couteaux à manche de buis garni d’argent. Les deux derniers étuis contenant chacun six tasses à café et leurs soucoupes. (Curieusement, on ne trouve pas trace de verres.)


Dans les communs :
L’écurie abrite quatre chevaux de différents poils, soignés par un palefrenier qui y a sa chambre.
Les granges abritent chariot, charrette, tombereau, un carrosse de campagne. A relier à ce carosse, les objets à destination militaire entreposés dans certains débarras, une vingtaine de malles de campagne (on dirait maintenant des cantines) et dans la garde-robe de l’hôte : des cuirasses... à rapprocher des épées, pistolets, cartes de différents pays...
Les greniers abritent : 400 boisseaux de bled (blé), 20 d'orge, 60 minots d’avoine, 30 milliers de foin.
Cent cordes de bois à brûler sont en réserve au bûcher.
Les caves recèlent : Neuf pièces de vin nouveau "à la courante" pour les domestiques, trois pièces de maître avec, environ, cinquante bouteilles de vins étrangers de différentes espèces.
Dans le pavillon près de l'église, se trouvent les latrines. On appelle ce pavillon "la cage".


Derrière et à côté du château, il y a un jardin composé de quatre carreaux bordés de charmille.
Au milieu, une pièce d'eau assez vaste. Une terrasse, soutenue par un mur, poursuit le jardin. (Descriptions sommaires faites au moment de la vente, à la Révolution ; il n'y a pas de plan !)
Jardin et terrasse sont l'un et l'autre traversés d'une belle allée de tilleuls chacune mesurant environ 100 mètres de long sur 25 mètres de large. Dans l'allée de la terrasse, plusieurs bancs de pierre pour le délassement des promeneurs. (Quatre bancs sont encore visibles dans le village : Devant l'église et dans la Grande Rue aux n° 44, 81, 85)
On trouve une serre dans laquelle vingt caisses de grenadiers attendent le printemps.
Jardin et terrasse couvrent 600 verges (environ 2 hectares).
Au-delà de la terrasse, dans le canton de la Chalaide, il y a un parc de 1240 verges (plus de 4 hectares), en partie planté d’arbres fruitiers.
Dans le même canton, mais plus éloigné, au lieu dit "Sous l’Orme", la source du puits Monsieur est captée et amène l’eau au château.


Ainsi se termine la visite du château !
L'inventaire des notaires comprend 13 feuilles manuscrites (grand format). Seules les pièces les plus intéressantes ont été décrites, ainsi que 2 chambres à coucher sur 18.


Quatorze ans plus tard, le château, déclaré bien national, sera expertisé avant la mise en vente.
Les commissaires feront une description très sommaire des lieux, ne mentionnant ni habitant, ni mobilier.
On peut peut-être penser que Louis-Marie-Florent, duc du Châtelet, demeurant à Paris et héritier désigné par son oncle Florent François, dans le testament dont l'inventaire fait l'objet, avait vidé le château de ses meubles...

 



 

 

Ebauches et propositions de plans (sous réserve) du château de Loisey au XVIIIème siècle présentées lors des journées du patrimoine 2010. Ces plans ont été établis d'aprés les trois inventaires de 1780, 1783, et 1793. (Document Bernard Thomas avec l'aide de plusieurs amis)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelques exemples d'éléments de mobilier du XVIIIème siècle qui auraient pu, à l'époque, trouver leur place au château de Loisey.

 

 

 

Exemple d'un parc de château bien arboré d'un style sans doute assez proche de celui du château de Loisey au XVIIIème siècle

 

 

 

Rue marquise du châtelet

Plaque de la rue Marquise du Châtelet à Loisey.
Cette rue a été inaugurée en 1973. Elle traverse dans le sens sud-nord et à partir de l'église, une grande partie de ce qui a été l'emplacement de l'ancien domaine du château.

 

 

 

 

Impasse du château à Loisey

L'impasse du château à Loisey.
Les dépendances du château occupaient à l'origine toute la partie gauche de cette rue.

 

 

 

 

 

 

 

 

La fin de la famille du Châtelet et de leur château.

En cette fin du XVIIIème siècle, le duc Louis-Marie-Florent du Châtelet a acquis une stature nationale.
Après le décès de son oncle, vint-il encore au château de Loisey ?
La seule trace d’activité, ici proprement dite, se limite à l'établissement d’un atelier de concassage de minerai de fer, en 1788, sur le ruisseau de Sainte Geneviève, au bas du village de Culey.
Il est d’ailleurs fort possible que, participant à son financement, il n’ait pas eu à se déplacer.
Il avait, dans la région, en France, et ensuite à l’Assemblée Nationale à Paris d’autres chats à fouetter... et la Révolution se met en branle.
En février 1793, le duc du Châtelet, introuvable à Paris, est inscrit sur la liste des émigrés ; en conséquence ses biens seront saisis.
Et la Révolution gronde maintenant à Loisey.
Sur instruction venant du district de Bar, les citoyens du village se dénoncent entre eux pour incivisme ou aristocratie. Le 29 juin 1793, sur 750 habitants, 76 (dont 37 hommes et 39 femmes) sont accusés. On les enferme dans un pavillon du château. Pérard en est encore le gardien.
Le lendemain, un tribunal populaire composé de quinze hommes de Loisey et de deux hommes de Bar, reprend le procès.
Six hommes et une femme seront emprisonnés à Bar ; deux hommes et onze femmes resteront incarcérés au château de Loisey jusqu’au 7 juillet. Ils en sortiront à l’heure des vêpres et les frais d'incarcération seront à leur charge. Les autres détenus seront libérés.
Le 28 juillet 1793, une commission d’experts fait la reconnaissance des biens appartenant aux Du Châtelet à Loisey et à Culey.
A Culey, elle signale que le moulin est en état de subsister. Elle cite ensuite la propriété de Loisey en écrivant «maison ci-devant château». Elle relève les détails en suivant sa déambulation, sans plan d'ensemble, ce qui déconcerte et empêche une vue cohérente.
La commission attache beaucoup d'importance aux vices relevés et les relie aussitôt à une possibilité de réemploi des bâtiments.
Les terres des jardins et potagers ne sont pas expertisées. On ne sait pas si elles sont encore cultivées.
Par contre, ce qui les enclôt : murs, palissades, treillages, est noté comme étant en très mauvais état, non entretenu.
L’escalier en fer à cheval menant à la terrasse et le mur autour du bassin (au milieu du potager) sont en ruine, de même que le bâtiment des commodités.
Dans le grand bâtiment des communs (dont le petit côté donne sur la rue principale), croisées, volets, sont en très mauvais état, les planchers sont pourris. Les gros murs du pourtour sont en assez bon état malgré certains manques de crépi, charpente et couverture de ce bâtiment le sont également.
Le mur de clôture de la cour donnant sur la rue et allant des communs jusqu’au bâtiment en face de l'église tient encore malgré quelques dégradations.
La grande et la petite porte d’entrée, prenant sur la rue, sont vieilles.
Le petit pavillon mansardé (entre les deux portes) et celui vis-à-vis de l’église (mansardé lui aussi) sont mal entretenus mais restent solides.
Le grand corps de logis (le château proprement dit) est généralement en bon état malgré quelques dégradations dues à la vétusté. C’est le cas des persiennes du premier étage, tant du côté cour que du côté jardin.
Charpente et couverture d’ardoises peuvent subsister. Il n’y a pas de réparation urgente à faire. On décèle des dégradations causées par l'enlèvement des meubles. On signale aussi des attiques manquants (une dizaine) ainsi que des pans de tapisserie ôtés.
La commission ne lève pas de plan.
Ce même état des lieux est établi pour quatre monastères et neuf châteaux implantés dans le district de Bar. On présume qu’ils pourraient convenir pour « de grands établissements ».
Il n’y a pas de suite positive donnée pour le château de Loisey. Le château de Loisey sera donc vendu.
On va d’abord le défigurer... Début décembre 1793, deux ouvriers sont employés à l'arrachement des fers du château (grilles des balcons ou des perrons, barreaux des fenêtres). Cela représente vint cinq journées de travail et cinq transports de ferraille jusqu’à "Bar-sur-Ornin" pour un poids total de 12538 livres, soit environ six tonnes.
On y ajoute les deux cloches descendues du vieux clocher...
On n’a pas pesé l'amertume des habitants...


Retrouvé dans la région d’Amiens, le duc Louis-Marie-Florent du Châtelet est ramené à Paris où il est guillotiné le
13 décembre 1793.
Et, quoiqu’on en pense, les nouvelles se propagent rapidement. Le 25 décembre (12 jours plus tard) Jean Pérard, le gardien du château, après des démarches administratives, obtient ceci : La rente de 500 livres (que lui avait fait Florent-François du Châtelet à son décès en 1783) et que lui servait le duc, lui sera dorénavant payée par la Trésorerie Nationale !
Le 13 février 1794 sur les façades du château et à l'intérieur, on détruit (à la masse et au burin) les armoiries de la Maison du Châtelet. On précise «Elles comportent des fleurs de lys ». De la même façon on détruit « le cordon d'alentour du temple de la raison » (l’église) et on démolit aussi les armoiries dans les chapelles et autres endroits « du temple ». On peut en déduire que les pierres tombales de Florent-Claude et de Florent-François ont été profanées en même temps.
Toutefois, la couronne comtale au dessus de l'autel actuel de Saint Joseph a été épargnée. C'est probablement l'insigne nobiliaire de Florent du Châtelet, comte de Lomont.

Les « Du Châtelet » sont morts, et on s’est acharné sur leur mémoire...
Reste le château, on l’a défiguré, il faut s’en débarrasser !
Le château (et ses dépendances) est donc partagé en quatre lots qui font l'objet d’un affichage en vue de leur vente.
Aux premières enchères on ne trouve pas de preneur. Une seconde vente (dite "aux feux") a lieu le 9 janvier 1795 (20 Nivôse an III).
- Le premier lot (n° 1604) composé surtout du grand bâtiment des communs et d’une partie du jardin est mis à prix à 4500 livres. Il est vendu 30 000 livres à François Couchot de Trémont.
- Le second lot (n° 1605) comprend principalement le château. Il est mis à prix pour 13 000 livres. Mr Thirion de Trémont l’acquiert pour 100 000 livres.
- Le troisième lot (n° 1606) comprend une partie du jardin, on le propose à 2 500 livres. Il est vendu 13 000 livres à Mr Michaut de Combles.
- Le quatrième lot (n° 1607) est composé du reste du jardin, mis à prix à 3500 livres. Il est acquis par Mr Bastien de Bar pour 15 300 livres.
Pour soumettre, il fallait au préalable, déposer une caution se montant à 1/10e de l'estimation.
Le paiement s'échelonne ainsi :
- 1/10e dans le mois de l'acquisition sans intérêt.
- 1/10e du solde chaque année avec intérêt de 5 %.
- Frais à la charge de l'acquéreur.
- On ne pourra démolir qu’après avoir payé les 2/3 du prix total.
On observe que l'ensemble a été vendu pour une somme dépassant de six fois la mise à prix.
Le partage par lots excluait de fait la réutilisation de la propriété en l’état.

Le 16 juillet 1795 ( soit six mois après la vente), à Paris, la Convention prescrit de surseoir à la vente des biens appartenant au citoyen "Châtelet", car son émigration (avant son exécution) n’est pas avérée... Mais le district de Bar a reçu l’arrêté de la Convention et la vente a déjà été conclue...
Pouvait-t-on en annuler les effets, mais surtout le voulait-on ?
Le château est détruit pierre par pierre. Ne subsistent que le long bâtiment des communs et le pavillon vis-à-vis de l'église.


Sous l'Empire, les héritiers font des démarches pour obtenir restitution de certains biens qui étaient propres au duc. Il s'agit des neveux issus de la duchesse du Châtelet Rochechouart, les familles De Damas et De Simiane. Leurs démarches sont vaines, sauf pour le parc du château, qui suit la terrasse. Il contient 11 arpents soit 3 ha 82 (Le parc ne figurait pas dans les quatre lots mis en vente en 1795, on ignore pourquoi ?)
Il est acquis ensuite (le 28 juin 1809) par Messieurs de Longeville, Varin et Gaillet... Ces trois notables (deux anciens et un nouveau) avaient joué dans des équipes opposées pendant la Révolution.

Inventaire sommaire de quelques articles de mobilier du château :


Pour ranger les affaires :
35 armoires (plus 8 dans les embrasures)
19 commodes avec marbre
19 tables de nuit
Pour s’asseoir :
147 fauteuils de paille
68 fauteuils de velours ou tapisserie
43 chaises
13 tabourets
Pour travailler, manger, jouer :
35 tables diverses
16 tables à jeu
1 bibliothèque
4 secrétaires
Pour dormir :
8 couchettes
33 lits dont :
10 lits à chapelle
3 lits tombeau
5 lits à la duchesse
1 lit à colonne
Pour l'hygiène domestique :
18 pots de chambre
7 chaises percées
6 bidets
22 miroirs de toilette
Pour se chauffer :
On brûle 300 m3 de bois.


 

Destruction de château à la Révolution

 

 

Descriptif des quatre lots mis en vente
(3 pages en date du 27 décembre 1794) Archive Q257

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vente du château de Loisey le 9 janvier 1795
(Archive Q742)

 

 

 

 

 

 

Visualisation sur une photo aérienne, des limites présumées du partage des quatre lots mis en vente en 1795.
(Document Bernard Thomas avec l'aide de plusieurs amis)

 

 

Sur le cadastre de 1839 subsiste encore le tracé de l'ancien et vaste plan d'eau qui jouxtait autrefois le jardin et le parc du château de Loisey.
Aprés avoir été vidé, il sera ensuite totalement remblayé...
Au milieu du XXème siècle, un bâtiment industriel se montera à cet endroit et servira d'unité de production à la fromagerie Roustang alors en pleine expansion.

 

Sources :

Archives Départementales de la Meuse :
Série A : 3-14-61-55a
Série AA : 504-696
Série B : 252-275-320-325=374-393-725-3044-3045
Série 2B : 536-836-837
Série BE : 5760
Sérié C : 589-689-760
Série E : E-dépôt 222 = 1 E5/1 E6/ ARC 3 I-1
(MI 1067-MI 1068)
Série 11E : 95-188
Série 13E : 160-332-336-337-338-346-347-348-349-350-352
Série-15E : 611-612-614-620-621-622-626-637-648-650-651
Série 19E : 113
Série 44EP : 599
Série F : 5F6
Série H : 29H6
Série J : 1J168-1J251-19J5867-55J12-59J6
Série L : 199-210-1028-1611—1612—1616-2141-2170
Série PL : 9112
Série Q : 15-16-62-116-120-169-236-275-556-566-625-737-742-762-779-886-1068-1167-1288-1329
Série R : 100 (1879)-109(1886)-112t2-(1978)
Série U : 87U3 - 158T10'
Divers : PER1971/2-in8°7106-in4°120

Médiathèque de Bar-le-Duc :
Dossiers : MS 1/47-MS102/4-MS737-L944/04-L944/03
B146
733B72
310002
Histoire du Barrois (Monseigneur Aimond)
Dictionnaire de la Noblesse
Dictionnaire des monuments de Paris.

 
 

Retour haut de page